Une dualité partielle en éducation
Cyrille Sippley
On déplore le haut niveau d’analphabétisme au sein de la population adulte dans la province, ainsi que les résultats médiocres de nos élèves et de nos étudiants universitaires dans certaines disciplines. On cherche partout des solutions, partout excepté, peutêtre, au bon endroit.
Au Nouveau-Brunswick, la dualité linguistique au ministère de l’Éducation n’est que partielle. En effet, on ne la retrouve pas encore dans tous les volets du domaine de l’éducation. Elle ne s’applique pas, par exemple, au système de garderie éducative, aux services à la petite enfance et à la famille et à l’alphabétisation des adultes. Dans ces domaines, on maintient le même mode de fonctionnement qui existait dans le système des écoles publiques avant 1974 et celui des collèges communautaires avant 2010, où les services aux deux communautés de langue officielle sont conçus, approuvés et administrés par une même entité désignée comme bilingue.
Les gouvernements successifs ont longtemps résisté à instaurer la dualité au sein des écoles publiques, même si on dénonçait l’iniquité du système existant depuis de nombreuses années. Quand il a enfin concédé à opérer un changement, plutôt que d’accéder à la demande d’une dualité réelle, le gouvernement a choisi une mesure mitoyenne en implantant un système d’écoles et de districts bilingues, qui s’est avéré encore plus néfaste pour la communauté de langue française de la province que le système uniforme précédent. Le taux d’assimilation des jeunes francophones a grimpé en flèche dans les régions les plus vulnérables. On a finalement consenti à la création d’une dualité linguistique et administrative au sein du ministère de l’Éducation, mais uniquement dans le système scolaire.
Pourquoi a-t-on limité cette dualité au système des écoles publiques? Comment n’at-on pas pu voir alors, et pourquoi ne peuton toujours pas voir que l’éducation est un système cohérent dont les divers volets sont interactifs et interdépendants, au point que l’un peut difficilement réaliser son plein développement sans l’apport des autres et surtout sans une orchestration unifiée et globale de l’ensemble selon une même philosophie, selon une même vision, selon des objectifs et des mécanismes complémentaires conçus et élaborés par l’instance bénéficiaire ellemême?
Les différences dans les défis auxquels sont confrontés les deux communautés linguistiques en ce domaine, qui peuvent même parfois présenter des particularités diamétralement opposées, sont trop nombreuses et trop cruciales pour les aborder selon une philosophie uniforme, établie par un organisme de pensée bilingue qui, obligatoirement, comprend de façon imparfaite les besoins des uns ou des autres.
Ce n’est pas sans raison que le gouvernement a finalement reconnu à la communauté, tout au moins en principe, le droit de gérer leur système scolaire et celui de leurs collèges communautaires. Les mêmes raisons justificatives s’appliquent à tous les volets du système global de l’éducation d’une communauté, c’est-à-dire à son continuum intégral. Il urge donc d’y intégrer les garderies éducatives, les services à la petite enfance et à la famille ainsi que la formation continue, qui comprend l’alphabétisation des adultes. Les failles dans la structure administrative ont été abondamment documentées et ont fait l’objet de nombreux rapports d’étude depuis plus d’une quinzaine d’années. Malgré cela, le gouvernement refuse toujours de se rendre à l’évidence. J’en conclus que les préoccupations d’ordre politique ont le dessus sur la volonté de favoriser le plein épanouissement de chacune des deux communautés.
Le projet éducatif – tous volets inclus – est du ressort de la communauté à partir de sa conception jusqu’à l’évaluation des résultats, en passant par l’identification des besoins, le choix des moyens, l’élaboration des programmes, la formation des intervenants, la mise en oeuvre et l’évaluation périodique de la démarche, le tout géré par un corps gouvernant élu au sein de la communauté. La responsabilité de l’État, selon la Cour suprême du Canada, est de fournir les ressources requises, tant humaines que financières, tout au moins en ce qui a trait à l’application de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. Et je partage l’avis de ceux qui estiment que l’esprit de cet article, consolidé par l’article 16, devrait imposer la même obligation à l’État quand il s’agit des autres volets du projet éducatif d’une communauté de langue officielle en situation minoritaire au pays. Un gouvernement responsable n’attend pas que ses responsabilités soient inscrites explicitement dans le Charte pour agir.
Un des obstacles au changement attendu est que les divers organismes intervenants du domaine de l’éducation francophone dans la province ne sont pas encore parvenus à se mobiliser et à former un front commun dans leurs revendications. Plusieurs voix s’élèvent, véhiculant des messages disparates, au lieu de former un choeur harmonieux et puissant qui peut retenir l’attention du corps gouvernant et influencer véritablement l’appareil législatif. Il faut en arriver à faire comprendre à ce dernier que l’éducation dans son continuum intégral est l’affaire de la communauté et que celle-ci n’acceptera rien de moins que le droit reconnu d’en assumer réellement la pleine gestion.