Commerce international: incertitude à l’horizon pour le N.-B.
Donald Trump brasse les cartes en matière de commerce international depuis son arrivée au pouvoir. Le NouveauBrunswick doit-il s’en inquiéter? L’Acadie Nouvelle a posé la question à l’économiste Pierre-Marcel Desjardins afin d’y voir plus clair.
Le 45e président des États-Unis a beaucoup parlé de protectionnisme économique lors de la campagne électorale et, depuis quelques semaines, il est passé de la parole à l’acte.
En avril, il a déclaré la guerre commerciale en annonçant l’imposition de nouveaux tarifs compensatoires sur le bois d’oeuvre canadien. Les tarifs seront en moyenne de 20% pour les entreprises du pays.
Au Nouveau-Brunswick, le géant J.D. Irving s’en tire à bon compte avec un tarif de 3,02%. Il avait prévu le coup et avait mis le paquet pour convaincre Washington de faire preuve de clémence à son égard. D’autres entreprises de la province n’ont pas eu cette chance.
Le gouvernement du NouveauBrunswick a réagi en embauchant un exambassadeur des États-Unis au Canada, David Wilkins, afin de plaider sa cause auprès du gouvernement américain au cours de la prochaine année.
Puis, plus tôt ce mois-ci, l’administration Trump a déclenché le processus menant à l’ouverture de la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA).
Cela a de quoi nous interpeller, au Nouveau-Brunswick, puisque ce sont plus de 90% de nos exportations qui vont aux États-Unis.
En entrevue avec l’Acadie Nouvelle, l’économiste Pierre-Marcel Desjardins, de l’Université de Moncton, explique que Donald Trump n’est pas le seul qu’on doit pointer du doigt, même si c’est lui qui a déterré la hache de guerre dans le dossier du bois d’oeuvre.
«Il ne faut pas mettre tout le blâme sur Trump. Je suis loin d’être un de Trump et je pense que c’est probablement le pire président qu’on a jamais vu aux ÉtatsUnis. Cela dit, ça fait cinq fois qu’on arrive à des conflits liés au bois d’oeuvre», dit-il.
Ce dossier a en effet connu son lot de hauts et de bas au cours des dernières années. Le nouveau président américain est loin d’être le premier élu à donner du fil à retordre aux exportateurs canadiens.
Pierre-Marcel Desjardins rappelle que le gouvernement a essayé de renégocier l’accord sur le bois d’oeuvre avec l’administration Obama avant l’élection présidentielle de novembre 2016, sans succès.
Maintenant que Donald Trump a déclaré la guerre commerciale au Canada, le Nouveau-Brunswick espère que son nouveau représentant à Washington, David Wilkins, réussira à convaincre l’administration actuelle d’épargner ses producteurs de bois d’oeuvre.
Fredericton lui versera plus de 600 000$. Il vient d’entrer en poste, mais on peut déjà se poser la question suivante: avait-on vraiment besoin de sortir le chéquier pour se payer ses services?
«La réponse facile, c’est probablement que oui», dit Pierre-Marcel Desjardins.
Il explique que cet républicain a ses entrées dans les coulisses du pouvoir. Cela pourrait permettre au Nouveau-Brunswick d’avoir l’oreille attentive de poids lourds américains. Ainsi vont les choses Washington, qu’on le veuille ou non.
Selon lui, David Wilkins va argumenter que le Nouveau-Brunswick est un cas à part, puisque nos entreprises ont moins accès au bois des terres de la Couronne que celles d’autres provinces canadiennes.
Pierre-Marcel Desjardins rappelle que l’on ne sait plus trop sur quel pied danser avec Donald Trump et il croit qu’il est tout à fait possible que le Nouveau-Brunswick ait éventuellement gain de cause, et ce, même sans l’apport de David Wilkins.
Mais si sa contribution peut accélérer le processus, son embauche aura valu la peine, croit-il.
«Si on a une décision favorable en huit mois, au lieu de 18 ou de 24 mois, la différence pourrait être cruciale pour certaines de nos entreprises. (...) Il n’y a aucune garantie, mais si ça fait en sorte qu’on a une réponse favorable plus tôt que tard, c’est un prix raisonnable.»
Il affirme que plus longtemps les entreprises néo-brunswickoises (sauf J.D. Irving) paieront des tarifs compensatoires élevés, plus les conséquences seront graves. Et pas seulement pour celles qui vendent leur bois d’oeuvre aux États-Unis.
«Si les usines qui vendaient aux ÉtatsUnis ne peuvent plus vendre là et qu’ils vendent au Nouveau-Brunswick ou au Québec, l’offre locale va augmenter et faire baisser les prix. Même les scieries qui ne vendent pas aux États-Unis vont avoir des difficultés à cause de ça.» à
Quant au dossier de l’ALÉNA, il est loin d’être réglé. L’administration Trump a mis sa menace à exécution et donné le coup de départ à la période de consultations de 90 jours qui doit précéder la renégociation de cet accord liant le Canada, les États-Unis et le Mexique depuis 1994.
«Ce qui se produit à l’heure actuelle, c’est qu’on ne sait pas exactement ce que veut véritablement renégocier Donald Trump. Il tente peut-être de déstabiliser ses adversaires. On peut voir ça un peu comme un match de boxe, où il y a des feintes», dit Pierre-Marcel Desjardins.
Il dit que si les Américains rouvrent bel et bien cet accord afin d’obtenir de meilleures conditions pour leurs exportateurs, il faut s’attendre à ce qu’ils s’en prennent à la gestion de l’offre au Canada. Il s’agit d’un irritant majeur à leurs yeux.
Au-delà des résultats concrets, il y a aussi toute la question de l’image protectionniste que Donald Trump veut projeter. Cela peut expliquer son approche au cours des derniers mois.
Selon Pierre-Marcel Desjardins, il ne faut pas paniquer en voyant tout cela se passer, mais il faut tout de même suivre ces dossiers de très près. Au final, le Nouveau-Brunswick dépend énormément de ses liens commerciaux avec les États-Unis.
«Il ne faut pas oublier que pour le Nouveau-Brunswick, le marché américain est la destination, bon an mal an, de 80% à 90% de nos exportations. Ce qui n’est pas banal. Donc si on a des difficultés à vendre aux États-Unis, beaucoup de nos entreprises vont avoir des défis très importants.»
«Quel est véritablement l’objectif de Donald Trump? Je pense qu’il y en a un qui est clair, net et précis: il veut démontrer à son électorat qu’il va aller au front pour les défendre. C’est une question de perception.»