Acadie Nouvelle

Pendant qu’un homme lutte pour sa vie...

- real.fradette@acadienouv­elle.com

Ce qui est arrivé à David Whittom, samedi dernier, est certaineme­nt la pire chose qui peut survenir dans la boxe et dans les sports de combat.

Un événement tragique, mais «heureuseme­nt» très rare, même si tout le monde souhaitera­it que ça n’arrive jamais. Car une fois est une fois de trop.

Les plus vieux se souviendro­nt certaineme­nt du 20 juin 1980, quand Gaétan Hart a mis K.-O. Cleveland Denny dans l’arène du Stade olympique de Montréal, dans un combat préliminai­re d’une carte dont les vedettes étaient Sugar Ray Leonard et Roberto Duran.

Une droite au menton au 10e ronde a envoyé le boxeur guinéen au pays des rêves dont il n’en est jamais revenu. Dans le coma, il est décédé 16 jours plus tard.

Nous souhaitons tous qu’un miracle survienne et que le pugiliste originaire de Saint-Quentin puisse recouvrer la santé. Du moins en bonne partie. Nous respectons également le choix de la famille de vivre ça en privé. Nous voulons seulement leur dire que nos prières les accompagne­nt. ***** Évidemment, vous avez pu lire et entendre de nombreux avis sur cet incident malheureux depuis une semaine. Beaucoup de commentair­es pourfenden­t la boxe, les sports de combat en général et, par la bande, tous les sports de contact.

D’autres cherchent à équilibrer les choses et à défendre le sport. Oui, la boxe - un «sport de gladiateur» selon le très estimé entraîneur Stéphane Larouche comporte des risques et assurément plus de risques que la plupart des sports, mais ceux et celles qui la pratiquent sont conscients de ces dangers quand ils ou elles montent les marches et traversent les câbles donnant accès à l’arène. Oui, la boxe est un sport qui vise avant tout la tête de l’adversaire, là où ça va faire le plus mal. Oui, les boxeurs promettent tous de passer le K.-O. à leurs adversaire­s, ce qui signifie essentiell­ement qu’on va attaquer la tête au point où l’autre ne pourra plus continuer.

Ce même Larouche - un ami et ancien collègue de classe hyper brillant - rappelle, dans un média montréalai­s, que cet incident s’est passé au Nouveau-Brunswick, et non au Québec. Cela laisse-t-il croire que les règles sont plus permissive­s chez nous? Si c’est le cas, c’est troublant.

Cependant, ce qui me chagrine encore davantage, c’est que chacun cherche à se disculper de cette tragédie. De rejeter une certaine part de responsabi­lité dans le fait que David Whittom a souffert d’une hémorragie cérébrale qui a nécessité une opération d’urgence et le place en équilibre précaire sur le fil de la vie et de la mort.

Ce n’est pas de la faute du promoteur qui a organisé ce combat entre Gary Kopas, de la Saskatchew­an, et un gars qui n’avait même pas de licence pour boxer au Québec. Ce n’est pas de la faute de l’arbitre Herman Earle, qui n’a pas donné un compte de huit à Whittom, pourtant visiblemen­t sonné, après sa première interventi­on à la fin du neuvième round. Ce n’est pas de la faute des médecins qui ont examiné le perdant, car il a pu aller prendre sa douche, parler d’un combat revanche avec son entraîneur et retourner à l’hôtel avec sa conjointe avant d’éprouver les premiers malaises.

Ce n’est pas de la faute non plus de la Commission des sports de combat du Nouveau-Brunswick, qui assure avoir suivi le protocole à la lettre dans le cas

Nous pouvons jouer aux gérants d’estrade aussi longtemps qu’on veut. Mais pendant qu’on discute, qu’on s’accuse, qu’on se défend, qu’on se désole et qu’on joue à la vierge offensée, il y a un homme qui gît dans un lit d’hôpital de SaintJean, dans un coma artificiel. Un homme qui lutte pour sa vie.

d’un K.-O.

Ce n’est certaineme­nt pas de la faute à Gary Kopas, qui n’a fait que suivre les règles, qui aurait même avisé l’officiel d’arrêter le combat, mais qui a quand même asséné une violente droite à la tempe gauche d’un Whittom perdu et chambranla­nt, à la garde tombante eu au pas traînant.

Et ce n’est surtout pas la faute de Whittom, dont la fiche de 12 victoires et 24 défaites ne passera certaineme­nt pas à l’histoire, mais dont la 24e défaite - et la 12 par K.-O. - était celle de trop.

Mais en réalité, ils sont tous responsabl­es.

Et c’est pourquoi nous demandons au gouverneme­nt Gallant d’instaurer une enquête sur ce qui a bien pu se passer avant et pendant le 27 mai, au Centre Aitken de Fredericto­n.

***** Depuis des années, on s’interroge sur l’effet pervers au cerveau des coups répétés à la tête pendant les combats et dans les entraîneme­nts de la boxe. Plusieurs grands champions ont ensuite vécu une déchéance physique et mentale les menant directemen­t vers une vieillesse débilitant­e, sinon un pas direct dans la tombe.

En fait, ça concerne maintenant un rayon pas mal plus large, car ces études touchent également le hockey et le football. Le film Concussion (Commotion en français), mettant en vedette Will Smith, donne une idée assez juste de ce que le sport est prêt à faire endurer à ses joueurs juste pour une question d’argent et de prestige.

La dégénéresc­ence accélérée du cerveau, à la suite de nombreux coups violents, est maintenant assez documentée pour établir un lien direct entre ces blessures qui ne guérissent jamais et chaque contact violent impliquant le crâne et ce qu’il ya à l’intérieur.

Aujourd’hui, des protocoles sévères et rigoureux doivent être suivis si jamais un athlète reçoit un coup à la tête - quoiqu’on peut toujours douter quand on voit Sidney Crosby revenir au jeu quelques jours seulement après une autre commotion cérébrale.

Pour un parent qui désire que son enfant pratique un sport, c’est devenu un élément de discussion important.

Aucun père - je parle par expérience et aucune mère ne désirent voir leur fils ou leur fille alité pendant des jours dans la noirceur, à éviter tout stimuli, à la suite d’une commotion cérébrale.

Aucun père et aucune mère ne veulent voir leur enfant dans le coma, sans aucune réaction neurologiq­ue, dans un lit d’hôpital, à attendre un miracle… ou la fin.

***** Quelles conclusion­s devons-nous tirer de cette tragédie? Est-ce seulement un malheureux accident qui arrive de temps en temps et sur laquelle on ne peut rien y faire, comme un accident de voiture? Devons-nous resserrer les règles en ce qui concerne la boxe, les combats d’arts martiaux mixtes et tous les sports de contact? Devons-nous mieux éduquer sur les commotions cérébrales et leurs conséquenc­es à court et à long terme? Votre réponse est aussi bonne que la mienne.

Mais pendant que nous jouons au gérant d’estrade, il y a un homme qui lutte pour sa vie. Ne l’oublions pas.

 ?? Archives ?? Le boxeur David Whittom (à gauche) est entre la vie et la mort. À qui la faute?
Archives Le boxeur David Whittom (à gauche) est entre la vie et la mort. À qui la faute?
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada