ANALYSE DE DONALD SAVOIE: NOS DÉFIS ÉCONOMIQUES
Chaire de recherche du Canada (niveau 1) en administration publique et gouvernance à l’Université de Moncton
L’économiste John K. Galbraith, de Harvard, a posé une question aux habitants des Maritimes: «les Provinces maritimes sont situées au milieu de deux points névralgiques de l’économie mondiale: l’Europe de l’Ouest et la côte est des ÉtatsUnis. Pourquoi le développement économique est-il passé à côté de votre région?»
Je tente d’y répondre dans mon livre Se débrouiller par ses propres moyens: le développement économique dans les Maritimes en relevant trois raisons: la géographie, les institutions politiques et les politiques nationales et nous, les habitants des Maritimes.
La géographie est très importante pour le développement économique. La situation des trois Provinces maritimes en périphérie de l’Amérique du Nord, loin des grands marchés du continent, compte pour beaucoup. L’invention d’Isambard Brunel révolutionna l’industrie de la construction navale, mais les navires à coque d’acier et à hélice de Brunel mirent fin à l’âge d’or de la navigation à la voile dans les Maritimes.
Les institutions politiques nationales n’ont fait qu’aggraver les choses. Le Canada est la seule fédération qui n’a pas la capacité de parler au nom de ses régions dans ses institutions politiques nationales. Le Canada fut créé en 1867 pour régler un problème politique qui paralysait l’Ontario et le Québec, et les Provinces maritimes se firent passer un sapin. Par exemple, lors des négociations, il fut convenu que plusieurs canaux (essentiels au commerce) seraient construits. Neuf canaux furent construits ou reconstruits en Ontario et au Québec, mais pas celui de Chignectou, le seul promis dans les Maritimes.
Lors de la Seconde Guerre mondiale, Ottawa concentra tout son effort de guerre en Ontario et au Québec. Il y fonda 32 sociétés d’État pour déployer l’effort de guerre, qui attirèrent des travailleurs des Maritimes dans le centre du pays. Ottawa accorda des contrats de construction navale à des chantiers du centre du pays. Les premiers navires construits évitèrent de justesse les glaces du Saint-Laurent et durent subir d’importants travaux dans les Maritimes avant de traverser l’Atlantique. Des conseillers militaires britanniques conclurent que «des enjeux politiques pèsent lourdement» sur les décisions militaires au Canada. Des conseillers militaires américains et britanniques exhortèrent Ottawa à installer le quartier général de la marine canadienne et le centre de réparation de ses navires à Halifax, mais en vain. Pour une fois, la géographie aurait dû favoriser les Maritimes. Ce ne fut pas le cas, parce que l’Ontario et le Québec avaient l’influence politique nécessaire pour veiller à leurs intérêts économiques.
Une foule d’exemples illustrent que les Provinces maritimes ont été laissées pour compte. Ainsi, Ottawa refusa de donner son accord à la construction au CapBreton d’une usine de fabrication de véhicules blindés légers de la société Thyssen Industries. Un haut fonctionnaire du Bureau du Conseil privé expliqua: «il s’agit d’un choix moral, d’une question de principe, d’une décision de ne pas construire un étalage dans le bazar des armes du Moyen-Orient». Pourtant, en 2015, lorsqu’Ottawa a donné son aval à la vente à l’Arabie saoudite de véhicules blindés légers fabriqués à London, en Ontario, personne n’a parlé de choix moral ou de construction d’un étalage dans le bazar des armes du Moyen-Orient. L’accent était mis sur les 3000 emplois maintenus à London. Pour quelque raison, 3000 emplois dans le sud de l’Ontario sont beaucoup plus importants pour Ottawa que 3000 emplois au Cap-Breton.
Pas besoin de remonter bien loin dans l’histoire pour constater que les institutions politiques nationales ont laissé tomber les Maritimes. Dans les années 1970, 28% des fonctionnaires fédéraux étaient en poste dans la région de la capitale nationale. Maintenant, la proportion est de 43%. Je donne bien d’autres exemples dans mon livre.
Les gens des Maritimes ne doivent pas se croire les seuls responsables de l’insuccès économique de leur région. Ce qui n’arrange pas les choses, c’est la géographie, la concentration du pouvoir politique dans les régions ayant le plus de sièges aux Communes, surtout l’Ontario et le Québec, et l’incapacité du Sénat de défendre les intérêts des petites provinces. Bref, les gens des Maritimes doivent constamment lutter contre la gravité pour générer des activités économiques.
Ils doivent également se regarder dans le miroir. Je maintiens que nous sommes satisfaits du statu quo plus que d’autres régions et que nous reconnaissons moins que d’autres régions les occasions à saisir. Nous avons trop souvent une opinion négative du potentiel économique de notre région. Nous acceptons trop facilement que le gouvernement ait un rôle à jouer dans la gestion du succès économique plutôt que dans la création des conditions du succès économique. Nous disons non à certaines possibilités de développement en croyant que, par quelque moyen, nous pouvons soutenir les niveaux actuels de services publics.
Le récent rapport du gouvernement de la Nouvelle-Écosse sur le développement économique, intitulé Now or Never: An
Urgent Call to Action for Nova Scotians, est allé au coeur de la question: «Tout au long de nos discussions avec les Néo-Écossais, nous avons entendu le message que notre province et ses habitants doivent adopter une “nouvelle attitude”. L’esprit communautaire ne manque pas en NouvelleÉcosse, mais on y trouve aussi une certaine négativité qui stigmatise le succès et entraîne une résistance au changement. De toute évidence, les Néo-Écossais doivent considérer non seulement la part de notre gâteau collectif qui revient à chacun, mais aussi comment nous pouvons faire grossir le gâteau.» Le commentaire vaut aussi pour le Nouveau-Brunswick et l’Île-duPrince-Édouard.
Le Nouveau-Brunswick et la NouvelleÉcosse ont tourné le dos à des perspectives économiques importantes. Le gaz de schiste, par exemple, a été un important moteur de croissance dans l’Ouest canadien et certaines régions des États-Unis. Lors du débat sur le gaz de schiste au Nouveau-Brunswick, j’ai posé une question à ses opposants: «Comment pouvonsnous, pour des raisons économiques et morales, accepter des paiements de transfert d’autres régions qui sont générés en grande partie par l’exploitation du pétrole et du gaz de schiste et, en même temps, dire non au gaz de schiste chez nous?» Je n’ai toujours pas obtenu de réponse. Selon certains, je n’aurais même pas dû soulever la question.
La composition de notre population régionale favorise aussi le statu quo. Notre population est vieillissante, et nous n’avons pas réussi à attirer suffisamment de nouveaux Canadiens. En outre, la culture et l’attitude de la région sont façonnées par une économie de pénurie. La grande dépendance des gouvernements provinciaux et des individus à l’égard des paiements de transfert incite à la prudence et renforce le
statu quo. La région dépend beaucoup des emplois dans la bureaucratie et les secteurs de l’éducation et de la santé et présente une concentration de la propriété dans le secteur privé. Cette concentration a amené de nombreux habitants des Maritimes à voir le secteur privé local non comme un moteur dynamique de la croissance économique et de la création d’emplois, mais comme une menace pour l’environnement et une source d’inégalités de revenu et de richesse. Toutefois, quand je leur demande de proposer une solution de rechange, ma question reste sans réponse.
Donald J. Savoie est l’auteur de Se débrouiller par ses propres moyens: le développement économique dans les Maritimes, Halifax, Nimbus Publishing.