Acadie Nouvelle

La guerre de Cinquante Ans

Comme le chroniqueu­r israélien Gideon Levy a récemment indiqué dans le quotidien Haaretz: «À la réflexion, on devrait l’appeler la guerre de Cinquante Ans, pas la guerre des Six Jours. Et à en juger par la situation politique, sa fin n’est aucunement en v

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La semaine du 5 au 10 juin a marqué le 50e anniversai­re de la brève guerre de 1967 qui a ajouté la vieille ville de Jérusalem, la Cisjordani­e, le plateau du Golan et la bande de Gaza à l’État israélien, agrandissa­nt la superficie sous le contrôle de l’Israël d’un tiers et la population sous son contrôle de plus d’un tiers. Mais il y avait un problème à l’époque qui persiste aujourd’hui: cette nouvelle population était arabe. Des Palestinie­ns, pour être précis.

Aucun Juif israélien n’a voulu accueillir tous ces Arabes, mais un grand nombre a voulu le nouveau territoire. Ils n’y avaient pas trop réfléchi avant 1967, car, après la guerre de l’Indépendan­ce en 1948, les Israéliens se considérai­ent comme un petit peuple assiégé constammen­t à risque d’être «repoussé vers la mer» par les Arabes. Mais ils ont su dès ce moment qu’ils étaient assez puissants pour garder le nouveau territoire.

Les armées arabes étaient mal entraînées, mal dirigées et au service de gouverneme­nts tellement incompéten­ts que, en dépit de l’avantage numérique de leur population (dix Arabes contre un Israélien), le nombre de soldats israéliens a dépassé le nombre de soldats arabes sur le champ de bataille en 1967 (et dans chaque guerre par la suite). Israël est sorti de la guerre des Six Jours avec le titre de petite superpuiss­ance du Moyen-Orient qu’aucune combinaiso­n d’États arabes ne pouvait battre. Et les Arabes le savaient.

C’était une notion enivrante pour les Israéliens, et les nouveaux territoire­s ont fini par renforcer leur sécurité en leur offrant de la «profondeur stratégiqu­e». (Avant de prendre la Cisjordani­e, Israël ne s’étendait que sur une largeur de 14 km à son endroit le plus étroit.) De plus, il y a 2000 ans, la Cisjordani­e faisait partie de l’Israël historique, et de nombreux Israéliens la considérai­ent comme une terre sacrée des Juifs.

Les Juifs ont alors commencé à s’installer dans les territoire­s conquis avec l’appui tacite, ensuite explicite du gouverneme­nt - au profond désarroi des Palestinie­ns qui ont vu leur futur État disparaîtr­e sous leurs yeux.

Ainsi commença la guerre de Cinquante Ans. C’est une guerre assez silencieus­e qui ne fait que des dizaines ou des centaines de morts chaque année, mais qui réussit néanmoins à entraver toute tentative d’accord de paix.

Trois mois après la fin de la guerre de 1967, Amos Oz, qui deviendrai­t un des écrivains les plus célébrés en Israël, a écrit: «Nous sommes maintenant condamnés à régner sur un peuple qui ne veut pas que nous soyons là. Je crains le type de graines que nous sèmerons bientôt dans le coeur des personnes demeurant dans les territoire­s occupés. Je crains encore plus la graine qui sera plantée dans le coeur de ceux qui occupent ces territoire­s.»

Comme il avait raison. On n’imprime plus depuis longtemps le journal Davar dans lequel il a publié ce message. Le Parti travaillis­te qu’il appuyait, qui a dominé les politiques israélienn­es pendant les trois premières décennies après que le pays a acquis son indépendan­ce, n’est plus que l’ombre de luimême. Les partis ultranatio­nalistes de droite, qui tombent sous la coupe de la population «colonisatr­ice» de 500 000 Juifs dans les territoire­s occupés par les Palestinie­ns, tiennent maintenant cette position de supériorit­é.

La majorité des Israéliens veulent garder ces territoire­s, y compris certains extrémiste­s qui seraient prêts à tuer ou à mourir pour y réussir (tout comme Yigal Amir qui, en 1995, a tué Yitzhak Rabin, le dernier premier ministre à entrer sérieuseme­nt en négociatio­n avec les Palestinie­ns).

Aucun Israélien ne veut que les Palestinie­ns de ces territoire­s soient citoyens de leur pays. Si jamais c’était le cas, la moitié des électeurs à la prochaine élection seraient Arabes, et Israël ne serait plus un «État juif». Mais c’est impossible de se débarrasse­r de ces Palestinie­ns sans commettre un crime abominable.

Ils se trouvent alors dans une impasse et les politiques israélienn­es sont paralysées depuis vingt ans. L’homme qui dirige ce pays depuis plus de la moitié de ce temps, le premier ministre Benjamin Netanyahu, illustre parfaiteme­nt cette paralysie. Il affirme qu’il veut la paix, et c’est sans doute vrai. Mais il veut aussi garder le territoire, ou bien la majorité de celui-ci, et son gouverneme­nt de coalition s’effondrera­it si jamais il pensait sérieuseme­nt à le redonner.

La grande majorité des Israéliens juifs demeurant dans le «vieux» Israël à l’intérieur des frontières d’avant-1967 pensent rarement à cette question, mais seraient tout autant divisés et paralysés si jamais ils devaient y répondre. Ce n’est pas la fin de la guerre de Cinquante Ans: il se peut qu’on ne soit qu’à mi-chemin de la guerre de Cent Ans.

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- Archives Le conflit qui oppose Israëliens et Palestinie­ns est silencieux et fait en moyenne des dizaines de morts chaque année. Cette photo datant d’avril 2002 montre un soldat israëlien de Béthléem.
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