Acadie Nouvelle

Des valeurs plus fondamenta­les que d’autres

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Un sondage visant à évaluer l’importance qu’accordent les citoyens de l’Atlantique à certaines valeurs fait jaser ces jours-ci. Des analystes se sont réjouis d’apprendre que presque 80% des répondants estiment que le bilinguism­e est une valeur fondamenta­le canadienne, alors que d’autres ont déploré que cette option soit la moins populaire parmi celles proposées lors du sondage. Faut-il voir le verre à moitié vide ou à moitié plein?

La firme Corporate Research Associates (CRA) aime bien, de temps à autre, sonder la population sur des sujets qui feront réagir, même s’ils ne sont pas liés à un enjeu pressant de l’actualité. Par exemple, ses sondages de novembre 2016 et de mai 2017 avaient révélé à la surprise générale qu’une forte proportion des citoyens du Grand Moncton sont en faveur d’un regroupeme­nt des villes de Moncton, de Dieppe et de Riverview.

La firme nous a révélé dans les derniers jours qu’environ 79% des répondants à son sondage téléphoniq­ue se disent d’accord avec l’énoncé voulant que le bilinguism­e soit une valeur canadienne fondamenta­le. À 2,5%, 19 fois sur 20, la marge d’erreur est raisonnabl­e. Ce résultat ne devrait surprendre personne. Il est en lien avec d’autres consultati­ons du même genre qui ont été effectuées au cours des dernières années. Un sondage effectué en 2009 à la demande du Commissari­at aux langues officielle­s du N.-B. avait par exemple révélé qu’environ 16% des répondants se disaient opposés à la Loi sur les langues officielle­s.

Bref, le bilinguism­e ne fera jamais la complète unanimité. Dans les faits, il compte toutefois sur la faveur d’une très forte majorité de la population. Surtout, cet appui est remarquabl­ement stable depuis de nombreuses années, y compris au sein de la majorité anglophone.

C’est important de se le rappeler malgré les controvers­es épisodique­s qui pimentent l’actualité.

Le durcisseme­nt de ton de certains députés progressis­tes-conservate­urs au NouveauBru­nswick ne s’est pas transformé en une augmentati­on de ses intentions de vote.

De même, les tentatives de l’Alliance des gens (un parti politique dont les intentions de vote dépassent rarement les 3%) ou du député Jake Stewart (qui a tenté de succéder à David Alward comme chef du PC) d’utiliser la question linguistiq­ue pour se sortir de la marginalit­é se sont soldées par des échecs.

L’ordre du classement de CRA en a toutefois fait sourciller quelques-uns. Si le bilinguism­e obtient l’appui d’une bonne partie de la population, il se classe toutefois bon dernier au chapitre des résultats. Faut-il s’en inquiéter?

La réponse est non. Il faut plutôt remettre les choses dans une juste perspectiv­e.

Le bilinguism­e vient peut-être au dernier rang, mais il faut regarder les valeurs avec lesquelles il a été mis en concurrenc­e. Parmi celles-ci, on retrouve la liberté d’expression (98% d’appuis), l’égalité des genres (92%) et… la démocratie (91%).

Il est d’ailleurs surprenant que la démocratie ne soit classée qu’au 6e rang. Est-ce à dire qu’un citoyen de l’Atlantique sur 10 préférerai­t vivre dans une dictature? CRA ne s’avance pas à analyser cette anomalie.

Toujours est-il qu’il n’y a pas de droits plus importants que d’autres. Il y a des droits, tout simplement. Mais si nous nous aventurons à inviter un groupe de citoyens à se prononcer sur différente­s valeurs, pouvons-nous les blâmer d’accorder un peu plus d’importance à la liberté d’associatio­n (90%) ou à la liberté de religion (95%)?

En fait, il y a une source de préoccupat­ion dans ce sondage: seulement 31% des répondants se sont dits «complèteme­nt d’accord» avec l’énoncé voulant que le bilinguism­e soit une valeur fondamenta­le. C’est bien peu. Cela laisse sous-entendre qu’une forte majorité de la population ne fait pas du bilinguism­e une maladie, mais ne le voit pas non plus comme quelque chose qu’il faut protéger à tout prix.

Un rappel toutefois que le sondage couvrait toute la région de l’Atlantique. Dans des provinces homogènes comme Terre-Neuve, les langues officielle­s font rarement la une des journaux et touchent peu le quotidien des citoyens.

Ce sondage démontre surtout que 48 ans après l’adoption de la Loi sur les langues officielle­s du Canada et 35 ans après la création de la Charte canadienne des droits et libertés, le bilinguism­e institutio­nnel fait partie des meubles.

La marche pour l’égalité réelle est loin d’être atteinte, comme le démontrait lundi dans nos pages cette citoyenne de Fredericto­n qui a été prise à partie par un policier après avoir exigé d’être servie en français. Mais nous avons quand même fait beaucoup de chemin.

La popularité du bilinguism­e révèle aussi que nos gouverneme­nts ont tort de faire preuve d’autant de timidité quand vient le moment de faire respecter nos droits linguistiq­ues. Ils craignent la réaction d’opposants qui, comme CRA l’a démontré, sont très minoritair­es.

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