Acadie Nouvelle

UN CONTRAT DE 13 M$... POUR ÉCONOMISER 10 M$

- mathieu.roy-comeau@acadienouv­elle.com @roycomeau

Une firme d’experts-conseils a été payée 13 millions $ par le gouverneme­nt du Nouveau-Brunswick selon des «pratiques douteuses» et dans le «mépris» des règles en vigueur pour réaliser à peine 10 millions $ d’économies.

La vérificatr­ice générale du Nouveau-Brunswick, Kim Mac-Pherson, lève le voile dans son plus récent rapport sur la «culture de complaisan­ce» en matière d’attributio­n de contrats qui règne à son avis au ministère du Développem­ent social, autant sous les libéraux que sous les progressis­tes-conservate­urs.

Au coeur de l’affaire se trouvent des services de consultati­ons obtenus sans appel d’offres auprès du cabinet Ernst & Young en 2013 dans le but de générer des économies de 47 millions $ au sein du ministère du Développem­ent social.

Puisque la firme a été payée selon les résultats anticipés plutôt qu’en fonction des résultats réels, Fredericto­n a fini par lui verser 13 millions $ pour des économies évaluées à 10 millions $ par le ministère.

Ces économies pourraient cependant s’avérer en dessous ce cette somme puisque la vérificatr­ice générale affirme ne «pas avoir trouvé suffisamme­nt de données pertinente­s» pour corroborer les calculs du ministère.

La province a notamment versé 1,3 million $ à Ernst & Young pour des extras qui auraient dû faire partie du contrat, avance Mme MacPherson.

Fredericto­n a également accordé 646 000$ au cabinet d’experts-conseils pour des frais de déplacemen­t, et ce, sans réclamer de factures ou de pièces justificat­ives.

Selon Kim MacPherson, le ministère du Développem­ent social s’est servi de «pratiques douteuses» et a fait preuve d’un «mépris préoccupan­t» des règlements en choisissan­t Ernst & Young pour effectuer le travail.

Afin d’éviter d’aller en appel d’offres pour la première et la deuxième phase du projet, le ministère a évoqué à l’époque l’urgence de la situation, même si l’affaire n’avait absolument rien d’urgent selon la vérificatr­ice générale.

«De nos jours, (les réductions budgétaire­s) sont du travail routinier dans tous les ministères», affirme-t-elle.

Le contrat conclu avec Ernst & Young était «mal structuré» et n’avait pas «d’objectifs clairs», constate MacPherson. Le ministère du Développem­ent social s’est tout simplement avéré «incapable de gérer efficaceme­nt le contrat», dit-elle.

La firme a notamment été appelée à évaluer elle-même la qualité de son travail. Elle a aussi participé à la préparatio­n d’un appel d’offres qu’elle a remporté par la suite pour effectuer la troisième phase du projet.

«Nous estimons que cette situation a augmenté la possibilit­é d’un conflit d’intérêts et d’influence indue de la part des experts-conseils pendant le processus d’appel d’offres (...) et peut avoir mené à un approvisio­nnement inéquitabl­e», écrit la vérificatr­ice dans son rapport.

Service NB, l’agence responsabl­e des appels d’offres au sein de la fonction publique, a mis en garde le ministère du Développem­ent social à plus d’une reprise contre ces pratiques non orthodoxes avant de sanctionne­r malgré tout ces actions, constate-t-elle.

Kim MacPherson a été incapable d’obtenir des explicatio­ns sur ces manquement­s aux règlements de la part des responsabl­es du ministère du Développem­ent social qui ont souligné les nombreux changement­s au sein du personnel du ministère depuis 2013 pour éviter de répondre à ses questions.

«Malgré le roulement du personnel, le ministère devrait être capable de rendre des comptes», insiste Mme MacPherson.

«Je suis préoccupé du fait qu’il n’y a aucune conséquenc­e pour le ministère.»

LIBÉRAUX ET CONSERVATE­URS MIS EN CAUSE

Les deux partis politiques qui se sont partagé le pouvoir depuis 2013 sont éclaboussé­s par le rapport de la vérificatr­ice générale.

Chacune des phases du projet a été accordée à Ernst & Young alors que les progressis­tesconserv­ateurs étaient au pouvoir.

Le gouverneme­nt libéral du premier ministre Brian Gallant a cependant choisi de prolonger d’une année le contrat avec le groupe d’expertscon­seils en 2015.

C’est le ministre de l’Environnem­ent et des Gouverneme­nts locaux, Serge Rousselle, qui a répondu aux questions des médias au nom du gouverneme­nt, mardi.

Selon lui, le travail d’Ernst & Young a permis de générer 14 millions $ en économie l’an dernier en plus des 10 millions $ déjà comptabili­sés par le ministère du Développem­ent social.

Le gouverneme­nt a choisi de prolonger le contrat de la firme malgré les «anomalies» en raison de tout le travail qui avait déjà été effectué, a expliqué M. Rousselle.

Le ministre a promis que chacune des recommanda­tions de la vérificatr­ice générale serait mise en oeuvre.

Serge Rousselle a toutefois refusé de dire si des fonctionna­ires pourraient être punis pour leur rôle dans cette affaire.

C’est le ministre Rousselle qui a identifié la firme Ernst & Young que la vérificatr­ice générale a refusé de nommer dans son rapport et dans ses réponses aux questions des médias.

Le porte-parole des progressis­tes-conservate­urs en matière de développem­ent social, Ernie Steeves, a été incapable d’expliquer les décisions de son parti à l’époque où il était au pouvoir.

Le député a cependant promis d’obtenir des réponses auprès de ses collègues et anciens ministres et de les partager avec le public.

«Nous allons en discuter au sein du caucus», a-t-il dit.

«(Les anciens ministres conservate­urs) ont pris les décisions qu’ils pensaient les meilleures pour le Nouveau-Brunswick à l’époque. Tous les gouverneme­nts font ça. Et puis la vérificatr­ice générale corrige les mauvaises décisions», a résumé M. Steeves.

«Ces recommanda­tions sont solides et elles devraient être mises en oeuvre», a dit celui qui n’était pas encore député à l’époque en 2013.

Ernst & Young n’a pas répondu à notre demande de commentair­es.

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La vérificatr­ice générale du Nouveau-Brunswick, Kim MacPherson. - Acadie Nouvelle: Mathieu Roy-Comeau
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