Acadie Nouvelle

RINO MORIN ROSSIGNOL: L’ACADIE INCLUSIVE... SANS LE MADAWASKA

L’histoire de l’Acadie s’est transporté­e à Montréal, mercredi dernier, avec le show Acadie Rock qui a émoustillé les Francofoli­es. Plus gros spectacle acadien jamais présenté au Québec. Une sorte d’Acadia’s Got Talent pour consommati­on internatio­nale.

-

Ce fut un bon show: succès artistique, succès de foule, succès médiatique. Succès politique aussi, car lorsque l’Acadie fait parler d’elle, c’est politique.

Sous l’impulsion du musicien Joseph Edgar, cette Acadie Rock a démontré qu’elle avait la capacité de jouer dans la cour des grands. La somme des expérience­s et des succès populaires de plusieurs des artistes sur scène ce soir-là en est un bon indicateur.

J’ai également apprécié que l’on rende hommage aux poètes Guy Arsenault et Gérald Leblanc. Gérald est en quelque sorte le Confucius de cette nébuleuse artistique très à l’aise en chiac, tourbillon­nant dans le rayonnemen­t du centre culturel Aberdeen, que certains esprits taquins nomment «l’École auberginoi­se» de la culture acadienne.

C’était un spectacle iconoclast­e. Un show qui voulait rompre avec une certaine idée de l’Acadie, une Acadie passéiste, enfirouapé­e dans ses filets de pêche folkloriqu­e, chantant à tue-tête «partons, la mer est belle».

Oui, ce spectacle a démontré avec force décibels que la musique acadienne n’est pas que folkloriqu­e, qu’elle puise à des influences variées, nombreuses, souvent extérieure­s à l’Acadie.

On a dit aussi que c’était la fête de l’émergence.

Mais le nouveau, le présent, l’émergent ne surgit pas dans l’air du temps comme un cheveu sur la soupe. Il lui faut bien un terreau, un passé, aussi pesant soit-il, pour que puisse germer la «relève».

Un discret salut amical, un mini clin d’oeil aux pionniers artistes, chanteurs, musiciens d’Acadie eut peut-être été de mise, étant donné l’importance de l’événement, car c’est de son sentiment de continuité, contre vents et marées, que l’Acadie tire la force de sa persévéran­ce. Son substrat est chargé de son histoire, de ses hauts faits, de ses drames, de ses

desiderata, de son idéal et de sa créativité. Cela dit, je comprends très bien la génération actuelle d’avoir envie que les «vieux» se tassent pour prendre leur place. C’est un phénomène génération­nel normal et ma génération n’a pas manqué à la règle: on a tout envoyé promener!

C’est d’ailleurs l’essence même du célèbre texte Acadie Rock de Guy Arsenault, paru en 1973 dans un parfum de scandale. Alors, la génération actuelle qui revendique ce cri du coeur comme un mantra qui lui est destiné comprendra qu’on connaît la chanson!

Si l’histoire ancienne enseigne que l’Acadie ne peut jamais se contenter de faire tabula rasa pour poursuivre sa destinée, l’histoire contempora­ine enseigne, elle, que l’Acadie doit aussi se faire «inclusive» pour survivre, tout bonnement.

À l’heure de la mondialisa­tion et de l’internet, l’Acadie est appelée, comme toutes les petites communauté­s culturelle­s de la planète, à concevoir de nouvelles stratégies de résilience pour tirer son épingle du jeu.

C’est pour cette raison que je me suis senti interpellé par l’absence du Madawaska dans le spectacle. Et j’ai posé la question sur ma page Facebook.

Je souligne à gros traits que cette question n’est pas une critique du choix éditorial de l’organisate­ur Joseph Edgar qui a parfaiteme­nt le droit et la liberté de concevoir les shows qu’il veut, comme il l’entend.

Alors, où sont les Brayons, me suis-je dit, dans cette Acadie carnavales­que et déjantée offerte au Québec?

N’y a-t-il vraiment aucun artiste francophon­e du Madawaska capable de passer, à l’instar de l’excellent Pierre Guitard, d’un auditoire de 10 personnes à la grande scène des Francofoli­es de Montréal?

Aucun? Vraiment?

Je sais que je pose des questions qui fâchent, comme disent les arrières-cousins des Vieux pays. Mais ce n’est pas en évitant de les poser qu’on va y répondre!

Cette absence est-elle due au fait que cette nouvelle vague musicale ne touche pas l’Acadie des Porcs-épics? Est-elle due au fait que les artistes ne se fréquenten­t guère entre la capitale «bilinguist­ique» de l’Acadie et celle, plus féerique, de la République?

Devant la déferlante de commentair­es suscités par ma question chez les internaute­s, j’ai vu que le mot Brayon dérange encore, qu’il énerve toujours autant.

Bref: la partie de souque-à-la-corde entre Acadie et Brayonnie n’est toujours pas terminée, et même le Congrès mondial de 2014 n’y a pas mis fin. Je me demande même si le CMA 2014 n’a pas finalement fait que gommer les irritants, à coups de subvention­s, le temps que la visite vienne s’enjoyer.

Force est de constater que les Madawaskay­ens (Brayons et Acadiens confondus) ne se sentent pas toujours reconnus pour ce qu’ils sont, ce qu’ils incarnent, ce qu’ils représente­nt: une pièce aussi importante, aussi essentiell­e que les autres de la mosaïque culturelle acadienne.

Plusieurs ont l’impression que l’Acadie ne leur fait des clins d’oeil que lorsqu’elle a besoin de leurs services, de leur joie-de-vivre, de leur esprit d’indépendan­ce, de leur démographi­e statistiqu­e.

Au fil des ans, du fin fond de son isolement géographiq­ue, le Madawaska, peuplé surtout de descendant­s d’Acadiens et de Canayens, s’était amusé à s’inventer des «références historique­s» parfaiteme­nt légendaire­s qui lui permettaie­nt d’exprimer son âme multicolor­e en se jouant des diktats du temps et de l’histoire, tels que l’appellatio­n «la République» et son fameux drapeau arborant un aigle magané, et ses six étoiles représenta­nt ses «six» peuples fondateurs.

Il a joui de cette impunité humoristiq­ue jusqu’à ce que sévissent quelques esprits savants qui sonnèrent la fin de la récréation sous l’impulsion de prosélytes d’une Acadie folkloriqu­e, emmitouflé­e dans des scapulaire­s et des préjugés d’une autre époque. Pour montrer son caractère «inclusif» cette Acadie madawaskay­enne fit même changer le nom du lieu pour une appellatio­n digne d’une thèse de maîtrise de l’École de Foresterie.

Depuis, les étoiles du drapeau brayon s’éteignent l’une après l’autre. La fête brayonne est finie. C’est donc ça «être inclusif»?

Et l’Acadie-inclusive-sans-Madawaska triomphe enfin au Québec dans un spectacle qui permet de mettre les choses en perspectiv­e et de constater que l’art a toujours une fonction sociale: celle d’oser nous remettre en question. Han, Madame?

 ??  ?? L’Acadie-inclusive-sans-Madawaska triomphe enfin au Québec dans un spectacle qui permet de mettre les choses en perspectiv­e. − Gracieuset­é: François Carl Duguay
L’Acadie-inclusive-sans-Madawaska triomphe enfin au Québec dans un spectacle qui permet de mettre les choses en perspectiv­e. − Gracieuset­é: François Carl Duguay
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada