L’héritage de Harper se porte à merveille sous Trudeau
Un processus de nomination retardé, une tentative de désigner un membre libéral à un poste qui doit être complètement indépendant par rapport au gouvernement, un effort unilatéral pour modifier les règles de la Chambre des communes…
Si Stephen Harper dirigeait les affaires sur la Colline du Parlement, on l’accuserait de malveillance institutionnelle.
Premièrement, presque à mi-chemin dans son mandat, Trudeau n’a pas encore rempli un seul poste d’agent du Parlement. La majorité des personnes qui occupent ces postes y sont par intérim ou sont des commissaires dont on a prolongé le mandat. Certains de ceux-ci, tels que le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique et le commissaire à l’information, ont déjà accepté deux ou trois prolongations.
Une année complète s’est écoulée depuis que le directeur général des élections, Marc Mayrand, a donné sa démission et l’administration de Trudeau ne l’a pas encore remplacé. Sous Harper, dont la relation avec Élections Canada fut loin d’être cordiale, la transition n’a pris que quelques jours. Traditionnellement, on considère le poste de directeur du système électoral canadien comme un emploi délicat qui nécessite une main ferme à la barre.
Les nominations judiciaires se poursuivent à pas de tortue. Et chaque semaine qui passe voit de plus en plus de sociétés d’État avec des conseils d’administration aux sièges à moitié vacants. À partir de cette semaine, par exemple, seuls six des douze membres habituels siègent au conseil d’administration de la CBC/ Radio-Canada, soit le strict minimum pour atteindre le quorum. Un porte-parole pour la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, a affirmé au Devoir il y a deux semaines que le processus de sélection aura «bientôt» lieu. Par nécessité, on a recours à de la gestion quotidienne au lieu de la planification stratégique.
Deuxièmement, Trudeau justifie les retards sans précédent en matière de nominations en affirmant qu’il cherche un nouveau système de sélection fondé sur le mérite.
Mais si le premier ministre croyait que les agents du Parlement nommés par Harper (dont il a prolongé le mandat) avaient été choisis pour une raison autre que leurs compétences, ne se presserait-il pas de les remplacer?
La première tentative (échouée) de Trudeau de nommer un agent du Parlement – soit l’ancienne ministre libérale de l’Ontario Madeleine Meilleur à titre de commissaire aux langues officielles – n’a pas passé l’épreuve de neutralité.
Si Harper avait proposé un ministre conservateur récemment retraité – soit-il provincial ou fédéral – pour le poste, les libéraux auraient été les premiers à l’accuser de saboter le système des langues officielles du Canada.
Troisièmement, étant donné qu’on parle des agents du Parlement, le commissaire à l’information a publié son rapport annuel au début du mois. Suzanne Legault a trouvé que, malgré la promesse de Trudeau d’une plus grande transparence, il y en a moins depuis l’entrée en fonction des libéraux.
Entre autres, la GRC, l’Agence du revenu du Canada et Affaires mondiales Canada ont échoué son examen de rendement. Elle a également donné la note «Alerte rouge» à la Défense nationale et au ministère de la Santé. Étant donné le manque de transparence de Harper, on aurait cru que les libéraux pourraient facilement faire mieux.
Quatrièmement, Trudeau a promis d’être plus collégial dans ses affaires avec les partis d’opposition. Toutefois, aucune administration récente n’a mis plus d’effort que la sienne à modifier de façon unilatérale les règles de la Chambre. En s’appuyant sur sa majorité accordée par une minorité de voix, le premier ministre imposerait des conditions selon lesquelles lui et les partis d’opposition doivent faire affaire.
Si on additionne ces éléments, il y a un affaiblissement évident des mécanismes de surveillance parlementaire. Les initiés libéraux affirment que la différence fondamentale entre Harper et Trudeau est que ce dernier est bien intentionné.
Ils croient que les énormes progrès en matière de parité hommes-femmes et de diversité qu’ils espèrent mettre en valeur lors de la prochaine élection compenseront les retards en matière de nominations.
Mme Meilleur n’a peut-être pas réussi l’examen de neutralité, mais, sûrement, ont expliqué les initiés, personne ne remettrait en question le fait qu’un premier ministre au nom de Trudeau souhaite le mieux pour le système des langues officielles du Canada.
Et les libéraux, ont-ils demandé, n’ontils pas le mandat d’apporter de façon unilatérale, au besoin, des modifications aux règles de la Chambre des communes pour lesquelles ils ont fait campagne lors de la dernière élection?
Sur le chemin vers le pouvoir, tout premier ministre des quelques dernières décennies a promis d’être plus transparent et collégial que son prédécesseur. Chacun a par la suite fait le contraire. On ne peut qu’espérer que les libéraux n’oublient pas leur logique égoïste quand ils seront assis du côté de l’opposition en face d’un premier ministre qui vise à développer certaines des idées néfastes de Trudeau.