Carl Rogers: le pédagogue de l’extrême
Comme à tous les étés depuis que j’écris une chronique sur l’éducation dans l’Acadie Nouvelle, je vous présente des pédagogues. Je continuerai en commençant par Carl Rogers.
Selon Rogers, on n’enseigne pas directement quelque chose à quelqu’un. On ne peut que lui faciliter la tâche d’apprendre. Dans le contexte de la première moitié du XXe siècle, cette idée est assez radicale.
Carl Rogers provient du domaine de la psychologie et de la psychothérapie. Ses influences, du côté de la philosophie, viennent de l’existentialisme du Danois Soren Kierkegaard (1813-1855). Pour ce dernier, il ne s’agit pas de savoir ce que doit être la vie, mais, plutôt, comment elle doit être vécue.
À ce principe qu’une personne qui se réalise à travers son existence et ses actions, Rogers ajoute les principes pédagogiques du philosophe américain John Dewey (1859-1952) selon lesquelles l’enfant apprend dans l’action (learning by doing).
Il faut aussi souligner le rôle central de l’influence de William Kilpatrick, collaborateur de Dewey. Celui-ci soutient l’idée qu’une personne devient adulte à la suite de ce qui s’apparente à une seconde naissance, celle où l’adolescent aborde par lui-même ses problèmes et tire ses conclusions à la lumière de ses propres recherches.
En d’autres mots, c’est le moment où l’on devient autonome et responsable, c’està-dire capable par soi-même d’être aux commandes de sa propre vie.
Sont alors réunies les idées maîtresses de la pensée de Rogers qui nous permettent de comprendre pourquoi il a affirmé, en 1952, que les connaissances qu’on transmet directement aux enfants leur sont peu utiles. En fait, il soutient que les connaissances que nous avons ne sont pas directement communicables.
L’enseignement n’intéresse pas Rogers. Pour lui, ce qui compte, c’est l’apprentissage. L’enseignement pourrait très bien disparaître en même temps que les examens et les diplômes qui, selon lui, ne sont la sanction que de peu de chose. Les apprentissages essentiels, les seuls vrais et authentiques qu’une personne fera, seront ceux qui auront été faits et découverts par la personne elle-même.
L’école, dans ces conditions, ne doit pas être abolie, mais réinventée. Tout doit être fait pour que l’enfant ne perde pas son désir inné d’apprendre, de créer et de se développer. Tout apprentissage, peu importe le contexte, vient d’un désir intime et personnel (self-initiated).
Plutôt que forcer ce désir, cette force intérieure, par des stratégies pédagogiques extrinsèques, Rogers pense plutôt qu’il faut créer des conditions favorables pour que ce désir émerge. L’un de ses dix principes pédagogiques consiste d’ailleurs à souligner qu’un apprentissage valable a lieu, selon les mots de Rogers, «lorsque son objet est perçu par l’étudiant comme ayant un rapport avec ses projets personnels». Tout autre apprentissage forcé pourra être perçu, par l’élève, comme une menace à son égard.
Quand on constate l’anxiété de performance chez beaucoup d’élèves, on peut certainement se demander si Rogers n’a pas raison… La peur de l’échec comme si celuici affecte directement l’élève dans sa personne.
Intéressant (ou préoccupant) quand même de constater qu’à la suite d’un test moins bien réussi en mathématiques, en histoire ou dans une autre matière, un élève en retienne davantage qu’il n’est pas bon dans cette matière que ce dont il a passé un mois à apprendre!
Les idées de Rogers sont extrêmes. Par contre, on peut retenir qu’il a su mettre l’élève au centre de tout discours sur l’éducation. En cette ère où le discours est fortement imprégné par des impératifs économiques, la relecture de Rogers, et d’autres pédagogues humanistes, aide à voir la question de l’éducation à la lumière d’une autre perspective.