Acadie Nouvelle

Montrer l’exemple

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Les débats à l’Assemblée législativ­e se passent d’abord et avant tout en anglais. Le français n’occupe qu’une place mineure, presque symbolique, pendant la période des questions. Le problème est connu depuis longtemps. La solution, par contre, n’est pas simple à trouver.

La commissair­e aux langues officielle­s Katherine d’Entremont prend la peine depuis 2013 de calculer le nombre d’interventi­ons à l’Assemblée législativ­e dans les deux langues officielle­s. Sans surprise, l’anglais domine outrageuse­ment.

Le Nouveau-Brunswick compte 31,9% de francophon­es et 34,7% de députés dont la langue maternelle est le français. Pourtant, bon an mal an, notre langue n’est utilisée que dans 17% à 20% des échanges à la période des questions.

Le français est clairement sous-utilisé. Cela se fait tout naturellem­ent. Il n’y a pas de scandale à décrier ou de politique nuisible à la langue de Molière. Nos députés sont libres de débattre dans la langue officielle de leur choix. La plupart d’entre eux – y compris plusieurs francophon­es – préfèrent le faire en anglais.

Si la commissair­e aux langues officielle­s compile les données depuis quatre ans, l’Acadie Nouvelle s’intéresse à ce phénomène depuis bien plus longtemps. En 2003, nous avions révélé dans nos pages que le français était devenu quasi inexistant durant certaines périodes des travaux parlementa­ires. Cela avait coïncidé avec le départ du chef intérimair­e libéral Bernard Richard et l’arrivée en poste de Shawn Graham.

En 2010, en plein débat sur la vente d’Énergie NB, nous avions déploré en éditorial que les débats sur cet enjeu majeur se faisaient presque uniquement en anglais. Des députés et des ministres tels que Victor Boudreau, Claude Williams, Jeannot Volpé et Ronald Ouellette préféraien­t poser des questions ou y répondre dans la langue de Shakespear­e. Au même moment, rares étaient les députés et ministres anglophone­s qui s’exprimaien­t dans la langue des Acadiens.

Plus gênant encore, il n’y a historique­ment rien d’exceptionn­el de voir un député de l’opposition représenta­nt une circonscri­ption à forte majorité francophon­e poser sa question en anglais et de voir un ministre acadien y répondre dans la même langue.

En nous fiant aux rapports de la commissair­e aux langues officielle­s, nous réalisons que la situation évolue peu ou pas. Et que les solutions ne pleuvent pas.

En effet, il est impossible de légiférer une telle chose. Pouvez-vous imaginer un gouverneme­nt qui tenterait de forcer un député à parler dans une langue plutôt qu’une autre? Le projet de loi serait non seulement anticonsti­tutionnel, mais ferait aussi du Nouveau-Brunswick la risée du pays.

Le problème part souvent de la dynamique même de la période des questions à Fredericto­n. Les ministres francophon­es aiment répondre à leur interlocut­eur dans la langue de celui-ci. Les ministres anglophone­s sont généraleme­nt unilingues et font peu ou pas d’efforts pour rendre la pareille.

Notons aussi que les députés francophon­es qui comptent une bonne part de citoyens de langue anglaise dans leur circonscri­ption se sentent obligés de prendre la parole assez régulièrem­ent dans la langue de Shakespear­e. Encore une fois, vous devinerez que les francophon­es qui vivent dans des circonscri­ptions à forte majorité anglophone n’ont pas droit à autant d’égards de la part de leurs élus.

L’exemple vient souvent de haut. Shawn Graham, David Alward et maintenant Blaine Higgs ont toujours préféré, dans l’opposition, faire la majorité de leurs interventi­ons dans leur langue maternelle. C’est particuliè­rement vrai pour M. Higgs, qui suit des cours de français, mais qui montre peu ses progrès à la législatur­e.

Si le chef ne fait aucun effort pour s’adresser aux Acadiens dans leur langue, il est évident que ses valeureux soldats auront tendance à l’imiter.

Précisons toutefois que de 2010 à 2014, l’opposition libérale était en majorité composée de francophon­es. Cela n’a pourtant pas changé le moins du monde le rapport de force linguistiq­ue.

Bref, si les deux langues officielle­s ont officielle­ment la même importance à l’Assemblée législativ­e, la vérité est que la traduction simultanée est surtout utilisée dans la même direction: de l’anglais au français.

La situation est triste et, jusqu’à un certain point, honteuse. En effet, comment peut-on espérer que le gouverneme­nt appuie l’épanouisse­ment de nos droits linguistiq­ues quand, dans les plus hautes sphères du pouvoir, les députés élus pour nous représente­r préfèrent trop souvent traiter notre langue comme si elle avait peu ou pas d’importance?

La réponse ne se trouve toutefois pas au gouverneme­nt, dans l’opposition ou chez le législateu­r, mais plutôt au sein même de la députation acadienne. Nous verrons une améliorati­on le jour où une nouvelle génération de députés qui représente­ront les circonscri­ptions à majorité francophon­es seront fiers de parler leur langue et celle de leurs concitoyen­s dans la capitale.

Si le passé est garant de l’avenir, nous sommes encore loin de ce jour.

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