Acadie Nouvelle

La légende du ragoût

Ces derniers temps, je me suis souvent retrouvé sur la Transcanad­ienne, celle qui frôle la frontière du Maine. Les paysages sont spectacula­ires, certes, mais moi je suis toujours et avant tout à la recherche de bonne bouffe.

- Patrick Thibeault

À travers les branches, j’avais entendu parler d’un phénomène mythique qui se déroule toutes les semaines au Pizza Boy de Grand-Sault: un mets très spécial composé de fèves au lard, de ragoût de poulet et de pain frais. Il y avait même des rumeurs que de la ploye et du ragoût de lièvre étaient aussi au menu.

Je dis mythique, car je n’avais jamais vu ce mets. Je n’avais même jamais vu de photos. Et, de plus, les chances n’étaient pas de mon côté, car ce mets est seulement disponible les samedis et moi, hélas, je passais un dimanche. Étant donné sa prétendue popularité, je me disais qu’il y aurait tout de même des chances pour qu’il reste un peu de ragoût ou une ploye oubliée pour moi.

Ah oui! J’oubliais. Du creton aussi serait présent dans ce lieu mythique. Existait-il vraiment et, si oui, y en aurait-il?

Je m’y suis donc arrêté pour dîner. Je me suis ensuite installé au bord des grandes fenêtres qui donnaient sur la Gorge de Grand-Sault. Cette vue rivalise largement avec toutes celles dont j’avais pu profiter auparavant, notamment de restaurant­s côtiers qui offrent des vues sur la mer. J’ai même pu observer un kayak bleu s’aventurant vers les chutes.

La serveuse est arrivée. Je lui ai expliqué que j’étais ici pour le mets spécial. Je voulais de tout: des fèves, du ragoût, du creton, du pain et même de la ploye s’il y en avait.

«C’est dimanche, me dit-elle. On en a juste les samedis.»

«Oui, oui, je comprends. Mais il doit bien y’en avoir encore un peu! Un fond de pot, une miette, n’importe quoi!» répondis-je.

Le restaurant de la famille Guimont, le Pizza Boy, a été fondé il y a plus de 30 ans. La bâtisse actuelle a été construite à la suite de l’incendie qui a détruit le Pizza Boy original en 2004. Derrière la caisse, en haut du réfrigérat­eur de Pepsi, il y a une photo de cette ancienne bâtisse.

Ma charmante serveuse est partie chercher mon breuvage et moi, comme Sherlock Holmes sur la piste d’un délicieux mystère, je suis allé chercher une deuxième opinion.

La personne que j’ai trouvée était Karine Guimont, la fille des propriétai­res qui travaillai­t lors de mon passage. Elle confirma le dur message que la serveuse m’avait livré juste avant… tout le ragoût avait bel et bien été vendu le jour précédent. Selon elle, il n’est pas rare qu’il soit fini avant l’heure du souper. J’ai tout de même insisté, mais rien n’y fit, elle continua de me dire que je ne pourrais pas en avoir sauf si je revenais, comme tout le monde, un samedi.

Dégonflé et toujours sceptique à propos de l’existence de ce fameux mets du Pizza Boy, j’ai opté pour un Pizza Boy Puffo: une pizza pliée et frite qui est ensuite recouverte de sauce spaghetti. Le Puffo était délicieux même si mon petit coeur aurait préféré un bon ragoût de poulet et de la ploye.

Je n’aurai d’autres choix que de revenir au Pizza Boy. Je viendrai, comme ça, un samedi, sans annoncer mon arrivée. En attendant, je me consolerai en imaginant ce jour qui, pour l’instant, demeure un mythe madawaskie­n.

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- Collaborat­ion spéciale: Patrick Thibeault La gorge de Grand-Sault.
 ?? − Collaborat­ion spéciale: Patrick Thibeault ?? L’ancien édifice du Pizza Boy.
− Collaborat­ion spéciale: Patrick Thibeault L’ancien édifice du Pizza Boy.
 ?? - Collaborat­ion spéciale: Patrick Thibeault ?? Notre chroniqueu­r a dû se contenter du Pizza Boy Puffo lors de sa visite dominicale.
- Collaborat­ion spéciale: Patrick Thibeault Notre chroniqueu­r a dû se contenter du Pizza Boy Puffo lors de sa visite dominicale.
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