Et maintenant?
(2e partie)
Des gens d’affaires de la région insistent sur l’importance d’une collaboration accrue entre les trois gouvernements provinciaux. Certains appuient une union politique des Maritimes, tout comme moi. Les gens d’affaires pourraient prendre certaines mesures pour donner le ton et promouvoir une perspective commune aux Maritimes. Par exemple, dans chacune des trois provinces, le temple de la renommée des affaires tient un dîner d’intronisation annuel pour honorer trois chefs d’entreprise. La communauté des affaires enverrait un message puissant en ce sens si elle organisait plutôt un seul dîner d’intronisation. Les milieux d’affaires, et pas uniquement les gouvernements, ont aussi la responsabilité de faire de la région des Maritimes plus qu’une simple création de l’esprit.
Les «régions de l’esprit» ont peu d’instruments de politique pour promouvoir le développement économique. Le cadre constitutionnel établit des frontières politiques précises et confère aux gouvernements provinciaux le pouvoir de créer des politiques et des programmes, ce qui nuit à une perspective multiprovinciale ou régionale. Il en résulte une inertie politique, institutionnelle et bureaucratique intrinsèque qui rend la planification et l’intégration régionales très difficiles. Les trois Provinces maritimes ont été peu enclines à coordonner leurs efforts de promotion du développement économique régional, ce qui a entravé le développement économique et est peu prometteur pour l’avenir.
Les trois gouvernements provinciaux devraient ouvrir la région aux affaires en veillant à ce que, cette fois, ce soit vrai. L’objectif de faire des Maritimes le meilleur endroit pour brasser des affaires devrait être leur priorité constante. Ils devraient adopter des lois rigoureuses sur l’exploration des ressources naturelles, y compris le gaz de schiste, inviter les entreprises à venir faire de la prospection, et réviser l’impôt des sociétés et l’impôt sur le revenu pour qu’ils soient plus concurrentiels. Si la région veut attirer et abriter des sièges sociaux, les gouvernements provinciaux doivent reconnaître que les taux élevés d’impôt sur le revenu sont en fait une taxe sur les sièges sociaux.
À part la volonté politique et bureaucratique, rien n’empêche les trois gouvernements provinciaux de déclarer que la région sera une zone de libre-échange dans un délai de trois ans, de chercher à conclure des protocoles de libre-échange dans tous les secteurs et de mettre en place des normes régionales plutôt que provinciales. Rien ne les empêche de se doter d’une stratégie touristique commune, d’un réseau énergétique commun, d’une régie des alcools commune, d’un même code du transport et d’une même loi sur les véhicules à moteur, et ainsi de suite. Si certains changements devaient favoriser une localité comme Halifax, eh bien, qu’il en soit ainsi! Nous habitons tous aux Maritimes et il nous appartient de plus en plus de voir à la prospérité de notre région.
Pour sa part, le gouvernement fédéral devrait assumer un rôle beaucoup plus dynamique pour que la région des Maritimes soit plus qu’une création de l’esprit. Il pourrait simplement procéder à l’examen de ses propres organismes, en commençant par l’agence de promotion du développement «régional». L’optique adoptée par l’Agence de promotion économique du Canada atlantique (APÉCA) a été étroitement liée à ses quatre bureaux provinciaux. L’APÉCA pourrait avoir plutôt un bureau pour les Maritimes et un pour Terre-Neuve-et-Labrador.
Les investissements dans la R-D sont à la mode dans la promotion du développement économique. Les appels à l’innovation et aux investissements accrus dans la R-D devraient être modulés de façon à refléter la situation économique des Maritimes. La solution n’est pas toujours de poursuivre l’innovation comme le font les autres régions, du Sud de l’Ontario à la Californie. Souvent, il vaut mieux laisser à d’autres le soin de se lancer à grand bruit dans l’innovation et la R-D. Les Maritimes profiteraient davantage d’une stratégie de R-D en renforçant la capacité des entreprises locales à adopter l’innovation. Souvent, les meilleurs investissements dans la R-D sont ceux que les entreprises locales effectuent par nécessité, pour améliorer leur productivité et leur compétitivité. Je pense ici à Oxford Foods, qui a dû inventer une machine à récolter les bleuets, conçue par des travailleurs locaux et maintenant vendue partout dans le monde.
Le gouvernement fédéral devrait soumettre aux trois gouvernements provinciaux une proposition de restructuration de son appareil gouvernemental dans la région. Les économies engendrées pourraient constituer un fonds de développement économique pour les Maritimes. Ottawa devrait alors tout mettre sur la table, allant jusqu’à restructurer les tribunaux qui relèvent de sa compétence. Les Provinces maritimes ont trois cours d’appel, et il y a de bonnes raisons de croire qu’elles ne sont pas toutes très occupées. J’offre de nombreux autres exemples d’économies potentielles dans mon livre.
La région est confrontée à un énorme défi démographique qui se fera sentir dans tous les secteurs, mais, surtout, dans celui des soins de santé. Les trois gouvernements provinciaux doivent mettre de l’ordre dans leurs finances. Ils sont mieux en mesure d’y parvenir en coordonnant leurs efforts qu’en agissant seuls.
Depuis la fondation du Canada, la région des Maritimes n’a pas réussi à créer et à exploiter des possibilités économiques au même rythme que les autres régions. L’avenir s’annonce incertain pour elle compte tenu de son défi démographique et de sa perte constante d’influence politique au sein de la famille canadienne. Il est à espérer que le gouvernement fédéral saura tenir compte tant de la perspective régionale que de la perspective nationale et ajuster les politiques nationales à la situation particulière de la région, au lieu de se rabattre sur les paiements de transfert ou de nous envoyer de l’argent pour se déculpabiliser, comme dans le passé. Espérons aussi que les gens des Maritimes cesseront de prêcher uniquement pour leur province ou leur paroisse et donneront à l’économie régionale un solide coup de barre afin de jeter les bases d’un développement économique autosuffisant.
La mondialisation de l’économie, la perte graduelle d’influence politique au sein des institutions politiques nationales et la situation financière précaire de tous les gouvernements font en sorte qu’il est encore moins logique de nos jours que trois petites provinces se fassent concurrence, que ce ne l’était lors de la création de l’APÉCA. Les trois provinces doivent considérer que les Maritimes sont plus qu’une simple région de l’esprit, les institutions communautaires doivent répondre à l’appel et contribuer davantage au développement économique de la région, les gouvernements à tous les niveaux doivent permettre au secteur privé de soutenir la concurrence en créant les conditions du succès économique, et les gens des Maritimes doivent presser le Sénat d’assumer pleinement son rôle de porte-parole des régions et doivent voter de façon stratégique lors des élections. Les médias ont soutenu que l’Ontario avait donné le pouvoir au Parti libéral et que le Québec lui avait donné sa majorité lors des élections de 2015. J’estime plutôt que les Maritimes et leurs 25 sièges ont donné au Parti libéral son mandat majoritaire (j’invite les médias à faire le calcul). Aucun parti politique ne devrait tenir le vote de la région pour acquis. Nous devons tirer des leçons du Mouvement des droits des Maritimes (vers les années 1920) et utiliser pleinement la modeste influence que nous avons dans nos institutions politiques nationales.
Donald J. Savoie est l’auteur de Se débrouiller par ses propres moyens: le développement économique dans les Maritimes, Halifax, Nimbus Publishing.