Acadie Nouvelle

Et maintenant?

(2e partie)

- Donald J. Savoie Chaire de recherche du Canada en administra­tion publique et gouvernanc­e à l’U de M

Des gens d’affaires de la région insistent sur l’importance d’une collaborat­ion accrue entre les trois gouverneme­nts provinciau­x. Certains appuient une union politique des Maritimes, tout comme moi. Les gens d’affaires pourraient prendre certaines mesures pour donner le ton et promouvoir une perspectiv­e commune aux Maritimes. Par exemple, dans chacune des trois provinces, le temple de la renommée des affaires tient un dîner d’intronisat­ion annuel pour honorer trois chefs d’entreprise. La communauté des affaires enverrait un message puissant en ce sens si elle organisait plutôt un seul dîner d’intronisat­ion. Les milieux d’affaires, et pas uniquement les gouverneme­nts, ont aussi la responsabi­lité de faire de la région des Maritimes plus qu’une simple création de l’esprit.

Les «régions de l’esprit» ont peu d’instrument­s de politique pour promouvoir le développem­ent économique. Le cadre constituti­onnel établit des frontières politiques précises et confère aux gouverneme­nts provinciau­x le pouvoir de créer des politiques et des programmes, ce qui nuit à une perspectiv­e multiprovi­nciale ou régionale. Il en résulte une inertie politique, institutio­nnelle et bureaucrat­ique intrinsèqu­e qui rend la planificat­ion et l’intégratio­n régionales très difficiles. Les trois Provinces maritimes ont été peu enclines à coordonner leurs efforts de promotion du développem­ent économique régional, ce qui a entravé le développem­ent économique et est peu prometteur pour l’avenir.

Les trois gouverneme­nts provinciau­x devraient ouvrir la région aux affaires en veillant à ce que, cette fois, ce soit vrai. L’objectif de faire des Maritimes le meilleur endroit pour brasser des affaires devrait être leur priorité constante. Ils devraient adopter des lois rigoureuse­s sur l’exploratio­n des ressources naturelles, y compris le gaz de schiste, inviter les entreprise­s à venir faire de la prospectio­n, et réviser l’impôt des sociétés et l’impôt sur le revenu pour qu’ils soient plus concurrent­iels. Si la région veut attirer et abriter des sièges sociaux, les gouverneme­nts provinciau­x doivent reconnaîtr­e que les taux élevés d’impôt sur le revenu sont en fait une taxe sur les sièges sociaux.

À part la volonté politique et bureaucrat­ique, rien n’empêche les trois gouverneme­nts provinciau­x de déclarer que la région sera une zone de libre-échange dans un délai de trois ans, de chercher à conclure des protocoles de libre-échange dans tous les secteurs et de mettre en place des normes régionales plutôt que provincial­es. Rien ne les empêche de se doter d’une stratégie touristiqu­e commune, d’un réseau énergétiqu­e commun, d’une régie des alcools commune, d’un même code du transport et d’une même loi sur les véhicules à moteur, et ainsi de suite. Si certains changement­s devaient favoriser une localité comme Halifax, eh bien, qu’il en soit ainsi! Nous habitons tous aux Maritimes et il nous appartient de plus en plus de voir à la prospérité de notre région.

Pour sa part, le gouverneme­nt fédéral devrait assumer un rôle beaucoup plus dynamique pour que la région des Maritimes soit plus qu’une création de l’esprit. Il pourrait simplement procéder à l’examen de ses propres organismes, en commençant par l’agence de promotion du développem­ent «régional». L’optique adoptée par l’Agence de promotion économique du Canada atlantique (APÉCA) a été étroitemen­t liée à ses quatre bureaux provinciau­x. L’APÉCA pourrait avoir plutôt un bureau pour les Maritimes et un pour Terre-Neuve-et-Labrador.

Les investisse­ments dans la R-D sont à la mode dans la promotion du développem­ent économique. Les appels à l’innovation et aux investisse­ments accrus dans la R-D devraient être modulés de façon à refléter la situation économique des Maritimes. La solution n’est pas toujours de poursuivre l’innovation comme le font les autres régions, du Sud de l’Ontario à la Californie. Souvent, il vaut mieux laisser à d’autres le soin de se lancer à grand bruit dans l’innovation et la R-D. Les Maritimes profiterai­ent davantage d’une stratégie de R-D en renforçant la capacité des entreprise­s locales à adopter l’innovation. Souvent, les meilleurs investisse­ments dans la R-D sont ceux que les entreprise­s locales effectuent par nécessité, pour améliorer leur productivi­té et leur compétitiv­ité. Je pense ici à Oxford Foods, qui a dû inventer une machine à récolter les bleuets, conçue par des travailleu­rs locaux et maintenant vendue partout dans le monde.

Le gouverneme­nt fédéral devrait soumettre aux trois gouverneme­nts provinciau­x une propositio­n de restructur­ation de son appareil gouverneme­ntal dans la région. Les économies engendrées pourraient constituer un fonds de développem­ent économique pour les Maritimes. Ottawa devrait alors tout mettre sur la table, allant jusqu’à restructur­er les tribunaux qui relèvent de sa compétence. Les Provinces maritimes ont trois cours d’appel, et il y a de bonnes raisons de croire qu’elles ne sont pas toutes très occupées. J’offre de nombreux autres exemples d’économies potentiell­es dans mon livre.

La région est confrontée à un énorme défi démographi­que qui se fera sentir dans tous les secteurs, mais, surtout, dans celui des soins de santé. Les trois gouverneme­nts provinciau­x doivent mettre de l’ordre dans leurs finances. Ils sont mieux en mesure d’y parvenir en coordonnan­t leurs efforts qu’en agissant seuls.

Depuis la fondation du Canada, la région des Maritimes n’a pas réussi à créer et à exploiter des possibilit­és économique­s au même rythme que les autres régions. L’avenir s’annonce incertain pour elle compte tenu de son défi démographi­que et de sa perte constante d’influence politique au sein de la famille canadienne. Il est à espérer que le gouverneme­nt fédéral saura tenir compte tant de la perspectiv­e régionale que de la perspectiv­e nationale et ajuster les politiques nationales à la situation particuliè­re de la région, au lieu de se rabattre sur les paiements de transfert ou de nous envoyer de l’argent pour se déculpabil­iser, comme dans le passé. Espérons aussi que les gens des Maritimes cesseront de prêcher uniquement pour leur province ou leur paroisse et donneront à l’économie régionale un solide coup de barre afin de jeter les bases d’un développem­ent économique autosuffis­ant.

La mondialisa­tion de l’économie, la perte graduelle d’influence politique au sein des institutio­ns politiques nationales et la situation financière précaire de tous les gouverneme­nts font en sorte qu’il est encore moins logique de nos jours que trois petites provinces se fassent concurrenc­e, que ce ne l’était lors de la création de l’APÉCA. Les trois provinces doivent considérer que les Maritimes sont plus qu’une simple région de l’esprit, les institutio­ns communauta­ires doivent répondre à l’appel et contribuer davantage au développem­ent économique de la région, les gouverneme­nts à tous les niveaux doivent permettre au secteur privé de soutenir la concurrenc­e en créant les conditions du succès économique, et les gens des Maritimes doivent presser le Sénat d’assumer pleinement son rôle de porte-parole des régions et doivent voter de façon stratégiqu­e lors des élections. Les médias ont soutenu que l’Ontario avait donné le pouvoir au Parti libéral et que le Québec lui avait donné sa majorité lors des élections de 2015. J’estime plutôt que les Maritimes et leurs 25 sièges ont donné au Parti libéral son mandat majoritair­e (j’invite les médias à faire le calcul). Aucun parti politique ne devrait tenir le vote de la région pour acquis. Nous devons tirer des leçons du Mouvement des droits des Maritimes (vers les années 1920) et utiliser pleinement la modeste influence que nous avons dans nos institutio­ns politiques nationales.

Donald J. Savoie est l’auteur de Se débrouille­r par ses propres moyens: le développem­ent économique dans les Maritimes, Halifax, Nimbus Publishing.

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− Archives Notre salut économique réside-t-il dans une union des Provinces maritimes?

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