Acadie Nouvelle

Moins de secrets, plus de crédibilit­é

- FRANCOIS GRAVEL

Malgré les problèmes qui l’accablent, le nouveau registre provincial des lobbyistes renferme déjà une mine d’informatio­ns sur les gens qui ont pour mission d’influencer nos élus.

Par définition, les lobbyistes aiment travailler loin des projecteur­s. Leur travail ne consiste pas à faire publier leur photo dans le journal, mais plutôt de convaincre les gouverneme­nts d’agir en fonction des intérêts de leurs clients.

Ils ont plus d’influence que l’on pense. D’ailleurs, ce n’est probableme­nt pas un hasard qu’une décennie se soit écoulée entre la promesse du premier ministre Shawn Graham d’établir un registre provincial des lobbyistes, en 2007, et la réalisatio­n de cet engagement cette année par un autre premier ministre libéral, Brian Gallant.

Il est clair qu’à l’interne, il y a eu de la résistance. Après tout, pourquoi laisser les journalist­es curieux fouiner dans un registre alors qu’il est tellement plus simple de travailler en secret?

Malheureus­ement, les débuts du nouveau registre sont cahoteux, si bien que la date limite d’inscriptio­n a été repoussée de trois mois. Des représenta­nts d’associatio­n affirment s’être déjà inscrits et ne comprennen­t pas pourquoi leur nom n’apparaît pas en ligne. Des entreprise­s utilisent les problèmes informatiq­ues comme excuse pour se traîner les pieds.

Cela a pour conséquenc­e de nuire à la crédibilit­é du registre. On y retrouve des noms d’associatio­ns dont l’action est publique (l’Associatio­n des enseignant­es et enseignant­s francophon­es du N.-B., par exemple). Par contre, Irving Oil et J.D. Irving y sont absentes.

Nous parlons pourtant ici des deux entreprise­s qui ont le plus d’influence sur le gouverneme­nt provincial. Il ne se passe probableme­nt pas une semaine sans qu’un haut-fonctionna­ire ou un ministre n’évalue l’impact d’une politique publique sur les intérêts de la richissime famille ou n’étudie une demande en provenance de l’empire.

Cette situation est ridicule. En effet, ce n’est pas comme si le Nouveau-Brunswick avait dû réinventer la roue. Il existe des registres de lobbyistes dans la majorité des autres provinces ainsi qu’au gouverneme­nt fédéral. Comment se fait-il que nos dirigeants n’aient pas été capables d’imiter ce qui se fait ailleurs?

Cela dit, un registre incomplet et mal foutu est mieux que pas de registre du tout. Déjà, l’informatio­n rendue publique nous a permis de faire quelques trouvaille­s.

Sans surprise, les libéraux y sont bien représenté­s. Avec les rouges au pouvoir tant à Fredericto­n qu’à Ottawa, plusieurs entreprise­s ont misé sur d’anciens politicien­s ou fonctionna­ires pour les aider à manoeuvrer dans les méandres de l’administra­tion publique.

Parmi ceux-ci, nous retrouvons Shawn Graham, Bertin LeBlanc (qui a fait partie de l’équipe de campagne de Brian Gallant) et Dana Clendennin­g (ancien directeur général du Parti libéral du N.-B.).

Le cas de M. Clendennin­g est intéressan­t en soi. Il représente les intérêts de MADD (Mères contre l’alcool au volant), mais aussi ceux de Labatt ainsi que de British American Tobacco Group, dont les objectifs n’ont rien à voir avec la santé publique.

Il s’agit là d’un rappel que la plupart des lobbyistes du secteur privé travaillen­t pour le plus offrant et certaineme­nt pas pour le bien commun. C’est pourquoi il est important de connaître qui pratique cette profession dans la capitale, au nom de qui et avec quel objectif.

Par exemple, la liste dévoilée nous révèle que des géants de la bière ont des lobbyistes en poste à Fredericto­n.

Or, le gouverneme­nt provincial a engagé une lutte judiciaire à finir afin de protéger ses lois qui limitent l’importatio­n d’alcool. Si la Cour suprême du Canada finit par donner aux citoyens le droit d’acheter de la bière au Québec sans être embêtés par les policiers et que le gouverneme­nt réagit en accordant des fonds aux brasseries pour vivre cette période de transition, vous pourrez peut-être accorder une part du crédit à Shawn Graham (Molson), à l’ancien ministre libéral Doug Tyler (Moosehead) et à Dana Clendennin­g (Labatt).

Il faut toutefois que le registre des lobbyistes soit fonctionne­l au plus vite et que les entreprise­s s’y inscrivent sans faire de fla-fla. Des sanctions sont prévues dans la loi. Fredericto­n ne doit pas avoir peur d’y recourir.

Nous encourageo­ns aussi le gouverneme­nt à forcer l’inscriptio­n des lobbyistes qui oeuvrent sur la scène municipale. Ces élus, en particulie­r ceux des plus petites villes ainsi que des villages, sont encore plus susceptibl­es de subir des pressions… et de plier sous le poids de celles-ci.

De même, les plus grosses cités prennent des décisions qui impliquent des millions de dollars en fonds publics (pensez au nouvel amphithéât­re de Moncton, construit au coût de plus de 100 millions $). Il nous faut connaître les motivation­s de nos élus ainsi que celles des gens qui tentent chaque jour de les influencer.

Les revenus du gouverneme­nt proviennen­t du même endroit que ceux des municipali­tés: les poches des contribuab­les. Les mêmes règles de transparen­ce doivent s’appliquer.

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