Moins de secrets, plus de crédibilité
Malgré les problèmes qui l’accablent, le nouveau registre provincial des lobbyistes renferme déjà une mine d’informations sur les gens qui ont pour mission d’influencer nos élus.
Par définition, les lobbyistes aiment travailler loin des projecteurs. Leur travail ne consiste pas à faire publier leur photo dans le journal, mais plutôt de convaincre les gouvernements d’agir en fonction des intérêts de leurs clients.
Ils ont plus d’influence que l’on pense. D’ailleurs, ce n’est probablement pas un hasard qu’une décennie se soit écoulée entre la promesse du premier ministre Shawn Graham d’établir un registre provincial des lobbyistes, en 2007, et la réalisation de cet engagement cette année par un autre premier ministre libéral, Brian Gallant.
Il est clair qu’à l’interne, il y a eu de la résistance. Après tout, pourquoi laisser les journalistes curieux fouiner dans un registre alors qu’il est tellement plus simple de travailler en secret?
Malheureusement, les débuts du nouveau registre sont cahoteux, si bien que la date limite d’inscription a été repoussée de trois mois. Des représentants d’association affirment s’être déjà inscrits et ne comprennent pas pourquoi leur nom n’apparaît pas en ligne. Des entreprises utilisent les problèmes informatiques comme excuse pour se traîner les pieds.
Cela a pour conséquence de nuire à la crédibilité du registre. On y retrouve des noms d’associations dont l’action est publique (l’Association des enseignantes et enseignants francophones du N.-B., par exemple). Par contre, Irving Oil et J.D. Irving y sont absentes.
Nous parlons pourtant ici des deux entreprises qui ont le plus d’influence sur le gouvernement provincial. Il ne se passe probablement pas une semaine sans qu’un haut-fonctionnaire ou un ministre n’évalue l’impact d’une politique publique sur les intérêts de la richissime famille ou n’étudie une demande en provenance de l’empire.
Cette situation est ridicule. En effet, ce n’est pas comme si le Nouveau-Brunswick avait dû réinventer la roue. Il existe des registres de lobbyistes dans la majorité des autres provinces ainsi qu’au gouvernement fédéral. Comment se fait-il que nos dirigeants n’aient pas été capables d’imiter ce qui se fait ailleurs?
Cela dit, un registre incomplet et mal foutu est mieux que pas de registre du tout. Déjà, l’information rendue publique nous a permis de faire quelques trouvailles.
Sans surprise, les libéraux y sont bien représentés. Avec les rouges au pouvoir tant à Fredericton qu’à Ottawa, plusieurs entreprises ont misé sur d’anciens politiciens ou fonctionnaires pour les aider à manoeuvrer dans les méandres de l’administration publique.
Parmi ceux-ci, nous retrouvons Shawn Graham, Bertin LeBlanc (qui a fait partie de l’équipe de campagne de Brian Gallant) et Dana Clendenning (ancien directeur général du Parti libéral du N.-B.).
Le cas de M. Clendenning est intéressant en soi. Il représente les intérêts de MADD (Mères contre l’alcool au volant), mais aussi ceux de Labatt ainsi que de British American Tobacco Group, dont les objectifs n’ont rien à voir avec la santé publique.
Il s’agit là d’un rappel que la plupart des lobbyistes du secteur privé travaillent pour le plus offrant et certainement pas pour le bien commun. C’est pourquoi il est important de connaître qui pratique cette profession dans la capitale, au nom de qui et avec quel objectif.
Par exemple, la liste dévoilée nous révèle que des géants de la bière ont des lobbyistes en poste à Fredericton.
Or, le gouvernement provincial a engagé une lutte judiciaire à finir afin de protéger ses lois qui limitent l’importation d’alcool. Si la Cour suprême du Canada finit par donner aux citoyens le droit d’acheter de la bière au Québec sans être embêtés par les policiers et que le gouvernement réagit en accordant des fonds aux brasseries pour vivre cette période de transition, vous pourrez peut-être accorder une part du crédit à Shawn Graham (Molson), à l’ancien ministre libéral Doug Tyler (Moosehead) et à Dana Clendenning (Labatt).
Il faut toutefois que le registre des lobbyistes soit fonctionnel au plus vite et que les entreprises s’y inscrivent sans faire de fla-fla. Des sanctions sont prévues dans la loi. Fredericton ne doit pas avoir peur d’y recourir.
Nous encourageons aussi le gouvernement à forcer l’inscription des lobbyistes qui oeuvrent sur la scène municipale. Ces élus, en particulier ceux des plus petites villes ainsi que des villages, sont encore plus susceptibles de subir des pressions… et de plier sous le poids de celles-ci.
De même, les plus grosses cités prennent des décisions qui impliquent des millions de dollars en fonds publics (pensez au nouvel amphithéâtre de Moncton, construit au coût de plus de 100 millions $). Il nous faut connaître les motivations de nos élus ainsi que celles des gens qui tentent chaque jour de les influencer.
Les revenus du gouvernement proviennent du même endroit que ceux des municipalités: les poches des contribuables. Les mêmes règles de transparence doivent s’appliquer.