Acadie Nouvelle

L’homosexual­ité tolérée «tant que ça reste invisible et silencieux»

- vincent.pichard@acadienouv­elle.com

Comme partout ailleurs au Canada, l’homosexual­ité est une réalité dans la Péninsule acadienne. Comment les concerné(e)s vivent-ils la leur? La population a-t-elle l’esprit ouvert sur la question? La discrimina­tion existe-t-elle? Témoignage­s et analyses.

Pour la réalisatio­n de ce dossier, l’Acadie Nouvelle a contacté une quinzaine de personnes homosexuel(le)s. Parmi elles, des personnali­tés de premier plan dans leur communauté et dont l’orientatio­n sexuelle est connue d’un très grand nombre.

La quasi-totalité ont refusé de participer à notre enquête. Cela n’étonne pas Dave Ross, propriétai­re de la boutique d’articles souvenirs de Caraquet, située près de l’église.

À l’approche du premier Rendez-vous de la fierté Acadie Love, qui s’ouvre jeudi, il a mis en avant son stock de drapeaux arc-enciel.

«Ce sont surtout les écoles et les touristes qui l’achètent, pas les locaux. Ça révèle le malaise et la gêne que l’homosexual­ité soulève dans la Péninsule», considère le commerçant.

Est-ce à dire que nous mettons le doigt sur un sujet tabou? Mike McWilliams peine à répondre. «Je ne peux pas dire oui, je ne peux pas dire non.»

Ce jeune homme vit en couple depuis deux ans avec Jonathan Nadeau, à Tracadie. Ils sont enseignant­s: le premier à l’école primaire, le second à la polyvalent­e. Le conjoint de Mike refuse d’être résumé à son orientatio­n sexuelle. «Je suis bien plus que ça.»

Il remarque cependant que «des personnes d’un certain âge» ont encore des idées très arrêtées sur ce qu’elles conçoivent être normal ou pas. «Il y a des familles très conservatr­ices.» Mais le couple affirme que les mentalités évoluent.

«C’est une question de génération. Mes élèves sont très tolérants. Beaucoup plus que du temps où j’étais à leur place», confie Jonathan Nadeau.

«C’est aussi parce l’éducation se fait à l’école. L’enseigneme­nt n’est plus le même. Le thème de l’homosexual­ité et des genres est abordé dans les cours de formation personnell­e et sociale», souligne Mike McWilliams.

Une donnée est probante: de mémoire de policiers, aucun crime haineux à caractère homophobe n’a été commis dans la Péninsule. Cela ne signifie pas que le Nord-Est est un pays enchanté.

«L’année dernière, en allant travailler dans un restaurant près de Caraquet, je me suis fait traiter de tapette. Je marchais. Un type était assis dans son char. En me voyant, il m’a crié dessus», raconte Christian Blanchard.

Cet étudiant en doctorat a conscience que son allure laisse peu de place au doute.

«Immédiatem­ent, les gens savent que je suis gay. J’ai la tête de l’emploi. Je n’ai aucun problème avec ça.»

Il n’empêche, ce genre de comporteme­nt le blesse. «C’est l’insulte facile et gratuite.» Selon lui, l’homosexual­ité dans la Péninsule acadienne est «tolérée, mais pas acceptée».

«Tout est correct tant que ça reste invisible et silencieux.»

Dans ces conditions, difficile de faire des rencontres. Mike McWilliams concède que le bassin d’homosexuel­s célibatair­es est moins fourni que dans les grands centres urbains.

«Le choix est d’autant plus limité s’ils ne s’affichent pas.»

Sites internet, applicatio­ns pour téléphones intelligen­ts… Les réseaux sociaux facilitent les échanges, mais ce n’est pas la panacée.

«Par ces moyens, je n’ai rencontré que des hommes mariés avec des femmes, qui voulaient des plans discrets. Ça ne m’intéresse pas. Je recherche une relation sérieuse», déclare Christian Blanchard.

À bien y réfléchir, celui-ci reconnaît que s’il était en couple, cela le gênerait de tenir la main de son chum en public.

«Je serais nerveux. J’aurais peur d’être jugé et rejeté. Mais ça vient peut-être de moi et de ma perception.»

Jonathan Nadeau et Mike McWilliams s’affichent sans crainte. «Le plus important est d’être à l’aise avec soi-même. Quand on sort du placard, on prend le contrôle. Le monde vous juge plus quand vous faites semblant de ne pas être ce que vous êtes, parce que vous apparaisse­z faux. En s’assumant, on est plus fort», assure Jonathan Nadeau.

 ??  ?? En couple depuis deux ans, Mike McWilliams et Jonathan Nadeau vivent heureux, au vu et au su de tous à Tracadie. - Acadie Nouvelle: Vincent Pichard
En couple depuis deux ans, Mike McWilliams et Jonathan Nadeau vivent heureux, au vu et au su de tous à Tracadie. - Acadie Nouvelle: Vincent Pichard
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada