Acadie Nouvelle

La santé d’un premier ministre

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La nouvelle de la commotion cérébrale subie par Brian Gallant n’aurait pas dû être cachée à la population pendant aussi longtemps.

Un premier ministre libéral se blesse pendant une activité sportive. En juillet, il doit décider s’il participe quand même à une annonce politique publique où s’il tente de garder le secret sur son état de santé.

Ce politicien n’est pas Brian Gallant, mais plutôt Shawn Graham. Il y a neuf ans presque jour pour jour, celui qui était alors premier ministre du Nouveau-Brunswick a participé à une partie amicale de baseball, pendant laquelle il a été heurté en plein visage par une balle.

Dans les jours qui ont suivi, il a arboré un gênant oeil au beurre noir que l’on ne retrouve normalemen­t que sur le visage des bagarreurs de rue. Cela ne l’a pas empêché de vaquer à ses occupation­s, même s’il n’a pas dû beaucoup apprécier voir sa photo dans les journaux.

Cet incident montre qu’il y a différente­s façons de gérer un tel incident. Shawn Graham avait choisi la transparen­ce; Brian Gallant, lui, a privilégié le secret.

Nous le savons maintenant, le premier ministre Gallant est tombé sur une patinoire et a subi une commotion cérébrale pendant une séance d’entraîneme­nt avec une équipe de hockey junior majeur.

Détail important, l’accident est survenu le 3 mai. Or, ce n’est que cette semaine que la population a été avisée. Et si ce n’était que du bureau du premier ministre, rien de tout cela n’aurait été dévoilé.

L’Acadie Nouvelle a commencé à poser des questions après avoir réalisé que le premier ministre était beaucoup moins visible qu’à l’habitude. Un exemple frappe plus que tous les autres: Brian Gallant n’était pas présent aux Jeux de l’Acadie pour accueillir son homologue canadien Justin Trudeau, lors de sa visite éclair.

Les rumeurs commençaie­nt aussi à circuler dans la capitale. Le Parti progressis­te-conservate­ur, qui devait se douter que quelque chose ne tournait pas rond, a déploré dans les derniers jours dans les médias sociaux que personne n’avait vu ou entendu M. Gallant depuis des semaines. L’opposition s’interrogea­it à savoir si les libéraux tentaient de protéger leur chef de mauvaises nouvelles sur le front de l’emploi.

Tout cela nous ramène à une vieille question: l’état de santé de nos politicien­s est-il d’intérêt public?

Les Néo-Brunswicko­is ne sont pas les seuls à s’interroger. Il y a plus de 40 ans, la publicatio­n du livre-choc Ces malades qui nous gouvernent nous révélait que des chefs d’État bien connus avaient caché le fait qu’ils étaient gravement malades pendant qu’ils étaient au pouvoir.

Cela n’est rien comparativ­ement au choc subi par les Français quand ils ont appris, quelques jours après le décès de l’ancien président François Mitterrand en 1996, que celui-ci avait combattu le cancer pendant presque tout son règne.

Le livre révèle que la maladie du président était considérée comme un secret d’État. Pendant des années, des bulletins de santé mensongers ont été diffusés afin d’induire les électeurs en erreur.

Plus près de nous, le chef du NPD Jack Layton est décédé quatre mois après les élections fédérales de 2011. Le secret a été si bien gardé à propos de son cancer qu’encore aujourd’hui, nous ignorons à quel point il était malade pendant la campagne électorale qui aurait pu faire de lui le premier ministre du Canada.

L’état de santé de nos politicien­s est un sujet délicat. Le secret de nos dossiers médicaux est scrupuleus­ement respecté. En 2014, le député provincial progressis­te-conservate­ur Greg Davis (Campbellto­n-Restigouch­e-Centre) s’est retrouvé en congé de maladie à la suite d’un scandale de factures et de dettes impayées. La nature même de son mal n’a jamais été révélée.

M. Davis était toutefois un député d’arrièreban, avec peu ou pas d’influence à Fredericto­n. L’enjeu est autrement plus important quand il s’agit du dirigeant d’une province ou d’un pays.

C’est encore plus vrai au Nouveau-Brunswick, où les contre-pouvoirs sont peu nombreux. Il est bien connu que Brian Gallant aime tout contrôler. Le véritable pouvoir est centralisé au sein du bureau du premier ministre.

Même le vice-premier ministre n’occupe, dans les faits, qu’un poste honorifiqu­e. Stephen Horsman a en effet reconnu qu’il n’avait même jamais été informé de la blessure subie par la personne dont il est pourtant censé assurer la relève.

Chaque cas est différent et doit être jugé au mérite. Nous croyons toutefois que l’état de santé du premier ministre est d’intérêt public. C’était une erreur de dissimuler aussi longtemps cette informatio­n importante.

Dans le dossier Mitterrand, les tribunaux français avaient interdit la publicatio­n du livre

Le grand secret, au nom de la protection de la confidenti­alité médicale. Le jugement avait été infirmé par la Cour européenne des droits de l’homme. Celle-ci avait décrété que «la capacité d’un président de la République ne relève pas du secret médical, mais concerne la vie de tout un peuple».

De son côté, la commotion subie par Brian Gallant semble avoir affecté sa capacité à mener les affaires de la province. La nouvelle aurait dû être rendue immédiatem­ent publique, tout comme la façon dont ses responsabi­lités ont été redistribu­ées pendant sa convalesce­nce.

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