MATHIEU-MARTIN: BRISER LE SILENCE
Dix-sept ans après la vague de suicides qui a frappé la polyvalente MathieuMartin à Dieppe, la cinéaste Samara Chadwick, de Moncton, est retournée à son ancienne école afin de réaliser un documentaire sur les effets laissés par ces tristes événements. Son film intimiste, 1999 (Wish You Were Here), dont la sortie est prévue à l’hiver, vient d’être sélectionné par le Fonds de soutien au cinéma du Conseil de l’Europe.
Avec son projet, la réalisatrice a voulu briser le silence et mettre en lumière les récits de ceux qui ont été touchés de près par cette histoire. Le tournage qui est complété s’est déroulé dans la région de Moncton. Elle s’apprête à entreprendre la postproduction (montage, bande sonore...).
Elle travaillera avec Gabriel Malenfant de Radio Radio à la production musicale, ainsi que Vivianne Roy (Laura Sauvage) et les Jeunes chanteurs d’Acadie qui reprendront des chansons des années 1990. Cette coproduction principalement canadienne est le premier projet canadien sélectionné par le fonds Eurimages. Seuls 27 des 60 projets soumis seront financés. Le projet de Samara Chadwick est le seul documentaire. Ce programme soutient la coproduction d’oeuvres cinématographiques.
«C’est étonnant, ça me touche le coeur. Je pense qu’on est en train de faire un film qui va le mériter. C’est vraiment un honneur. J’ai vécu dix ans en Europe, alors pour moi, c’est un peu comme un pont entre mes deux mondes, alors ça me rend très heureuse», a déclaré la réalisatrice au cours d’un entretien téléphonique depuis Montréal où elle est établie.
Elle a eu l’idée de replonger dans cette histoire en discutant avec un ami en Italie. Elle confie que cette vague de suicides a été un chapitre de son histoire personnelle qui n’a jamais été résolu. Ses amitiés les plus profondes, encore à ce jour, sont des gens du secondaire.
«En parlant de notre expérience au secondaire, on s’est rendu compte qu’on avait des histoires tellement différentes, même si on avait le même âge et qu’on avait fréquenté les mêmes cours. Ce qui m’intéressait au début, c’était le fait que chacun avait sa propre histoire et avait hébergé sa propre version des événements. Les souvenirs étaient presque intacts. Ça faisait tellement longtemps qu’on n’en avait pas parlé, mais cela a formé les adultes qu’on est devenus.»
Pendant sa recherche, elle a interviewé une centaine de personnes; des parents de l’époque, des psychologues, des élèves de 1999 et d’aujourd’hui. Ce sont surtout ces élèves que l’on verra à l’écran, afin de leur donner une voix et rompre avec le silence ayant suivi les suicides. Ils s’expriment en français, en anglais et en chiac.
«La politique générale du district scolaire et de la psychologie adolescente dans les années 1990 était que le retour à la normale était la meilleure façon de procéder et de ne pas trop s’attarder sur le deuil. Pour chaque personne, le besoin d’en parler varie, mais beaucoup de gens ont souffert de ce silence en général.»
Bien que le film aborde le suicide, il reste que c’est d’abord et avant tout une oeuvre qui se veut un éloge de la jeunesse. La réalisatrice a été portée par le courage et l’amour de la collectivité acadienne.
RAYONNEMENT INTERNATIONAL
Une maison de production de la Suisse s’est associée au projet de Samara Chadwick. Le film sortira donc en salle au Canada et en Suisse.
«C’est incroyablement touchant parce que c’est une histoire qui a été créée avec beaucoup d’amour, celui de tous les gens de Moncton qui ont participé. La confiance et le courage qu’ils ont eus de vouloir partager ça avec moi et le fait que ça résonne avec des publics très loin, c’est beau. On connaît beaucoup le documentaire comme un véhicule d’éducation et politique, mais ça peut être aussi un véhicule d’humanité, de douceur et de partage.»
Samara Chadwick a quitté Moncton à la fin de sa 11e année, à l’âge de 16 ans, à la suite des suicides. Elle a voyagé à travers le Canada et le monde. Celle qui a oeuvré dans divers domaines du septième art est revenue au pays en 2014 afin de réaliser ce documentaire. Il s’agit de sa première réalisation. Produit par l’ONF en Acadie, Parabola Films au Québec et Beauvoir Films en Suisse, le documentaire a reçu l’appui de Téléfilm Canada qui a défendu ce projet auprès du Fonds Eurimages.
Elle espère que la première de son film aura lieu à Moncton.
«C’est sûr que les suicides font partie de l’histoire, mais ce n’est pas vraiment un film sur le suicide. C’est plutôt un film sur la résilience des adolescents et le pouvoir incroyable des Acadiens et l’esprit de la communauté.» «Mon rêve est de le présenter à Moncton en premier. C’est absolument nécessaire par rapport à mon coeur et à tout ce que les gens ont donné», a ajouté la cinéaste de 34 ans.