UNE INDUSTRIE EN DEVENIR
CULTURE DU CHANVRE AU N.-B.
Dans la région de Cocagne, des plants de cannabis poussent à l’air libre. Mais attention, ceux-là ne se fument pas! Ils seront utilisés dans le domaine de l’écoconstruction, de l’alimentation ou du biotextile.
Quatre entrepreneurs du comté de Kent se sont associés pour créer Modern Hemp Innovations. Leur objectif: développer la filière du chanvre au Nouveau-Brunswick.
Contrairement au chanvre indien (marijuana), le chanvre industriel se caractérise par sa faible teneur en THC, l’élément psychoactif du cannabis.
Particulièrement résistante, la fibre de la tige peut servir à la fabrication de papiers, de tissus, de cordes et de matériaux de construction (isolation phonique et thermique, brique, béton végétal). La graine et son huile sont à la base de produits alimentaires (poudre protéinée, farine, huile), de produits de beauté, de matières plastiques et de combustibles.
Modern Hemp Innovations a conclu des partenariats avec quatre fermes de la région pour cultiver 80 acres cette année. C’est la première fois que la plante est semée dans la province à des fins commerciales de mémoire d’homme.
Les quatre associés constatent une demande grandissante au Canada et aux ÉtatsUnis pour ce produit écologique et renouvelable, en particulier dans le domaine de l’écoconstruction.
Cofondateur de la société, Yves Page est convaincu que le marché va exploser dans les prochaines années.
«On a mis les fonds pour développer le marché agressivement. Pour les sept prochaines années, on prévoit d’augmenter la production entre 250 à 600 acres par an», explique-t-il.
Le projet est au stade de la recherche, l’équipe fait pousser 13 variétés de chanvre pour identifier celles qui seront les mieux adaptées au climat de la province.
Les associés comptent créer une coopérative qui rassemblera fermiers, producteurs, distributeurs et équipes de recherche. À plus long terme, ils souhaitent investir dans la construction d’une usine de transformation.
«On veut être le centre d’expertise de la culture et des marchés et assurer la précommercialisation. On met beaucoup d’emphase sur l’exportation», poursuit Daniel LeBlanc.
«On a déjà un contrat avec une entreprise qui va presser les graines pour faire de l’huile et de la farine. On a des discussions avec des producteurs en Europe, ils sont plus avancés que nous au niveau de la construction.»
L’industrie se développe aussi à Bouctouche. La ferme de recherche H. J. Michaud a été achetée par Canutra Naturals l’an dernier. L’entreprise de la Colombie-Britannique y produira des capsules et des suppléments alimentaires à base de la graine de chanvre.
DES BÂTONS DANS LES ROUES
La plante a été cultivée par les colons en Amérique dès leur arrivée. Ils l’utilisaient notamment pour le tissage des vêtements et les cordages des bateaux.
Interdite de 1938 à 1998, la culture du chanvre reste strictement contrôlée. Chaque année, les producteurs doivent effectuer de longues démarches pour obtenir une licence auprès du Bureau des substances contrôlées de Santé Canada.
Le niveau de THC maximum est fixé par la loi à 0,3%, quand le taux de THC varie entre 10% et 40% dans la marijuana récréative.
«On a mis des pancartes pour laisser savoir aux gens que ça ne vaut pas la peine de venir voler la plante pour la fumer parce que les niveaux sont si faibles que ça ne va pas faire effet», informe Daniel LeBlanc.
Les producteurs ne peuvent récolter ni les feuilles, ni la fleur de la plante. Le groupe d’entrepreneurs espère que la légalisation de la marijuana fera tomber certaines barrières réglementaires.
«Une fois que la déréglementation entre en jeu, ça ouvre de nouveaux marchés pour les fermiers. Le CBD présent dans les feuilles (un cannabinoïde aux nombreuses vertus thérapeutiques) pourra être extrait et transformé sous forme de capsules», souligne Yves Page.
LES MILLE BIENFAITS DU CHANVRE
Pour les fermiers, le chanvre représente une culture de rotation prometteuse. Il coûte moins cher à produire que les récoltes conventionnelles puisqu’il requiert peu d’engrais, peu d’eau et peu de produits chimiques.
«Le chanvre peut leur donner un meilleur revenu par acre et ça remet les nutriments dans la terre. Il y a beaucoup d’intérêt chez les fermiers. On n’a pas encore fait l’annonce et on a déjà une liste d’attente», note Yves Page.
La plante offre surtout une alternative aux matériaux issus des combustibles fossiles.
Modern Hemp Innovations travaille d’ailleurs sur un projet de recherche de trois ans avec l’Université de Moncton pour développer une résine naturelle à base de chanvre. À l’heure actuelle, la majorité des résines sont produites à base de pétrole.
L’isolant de chanvre ne cause pas de problème sanitaire contrairement à l’amiante ou à la laine de verre, tandis que la graine est une source importante d’Oméga 3 et d’Oméga 6.