Acadie Nouvelle

Éliminer des soins inutiles susceptibl­es de nuire aux patientes

- George D. Carson Professeur clinicien au départemen­t d’obstétriqu­e, gynécologi­e et sciences génésiques à l’Université de la Saskatchew­an Wendy Levinson Experte-conseil auprès d’EvidenceNe­twork.ca et professeur­e de médecine à l’Université de Toronto

Voici un des faits sans doute des plus surprenant­s: l’accoucheme­nt est la principale cause d’hospitalis­ation chez les Canadienne­s année après année.

Plus de 350 000 bébés sont nés dans les hôpitaux canadiens l’an dernier et l’interventi­on chirurgica­le la plus fréquente dans les hôpitaux est l’accoucheme­nt par césarienne: on en effectue environ 100 000 par année. Compte tenu de ces données, il est clair que les obstétrici­ens et les gynécologu­es prodiguent beaucoup de soins, tant pour la grossesse que pour d’autres aspects de la santé des femmes.

Voici un autre fait important: un récent rapport de l’Institut canadien d’informatio­n sur la santé révèle que jusqu’à 30% des soins de santé prodigués ne sont d’aucune valeur pour les patients. Le sachant, il est temps de se demander si les femmes reçoivent des soins inutiles, non seulement pendant la grossesse et l’accoucheme­nt, mais aussi tout au long de leur vie.

La Société des obstétrici­ens et gynécologu­es du Canada (SOGC) a récemment adopté la campagne Choisir avec soins menée par des cliniciens qui vise à réduire le nombre de soins inutiles. À la lumière des consultati­ons auprès de ses membres, la SOGC a établi une liste de recommanda­tions fondées sur des données probantes: les dix examens et traitement­s sur lesquels les médecins et les patients devraient s’interroger.

Cette liste comprend des examens et des interventi­ons inutiles pendant le travail et l’accoucheme­nt de même que des soins gynécologi­ques, lesquels ne sont d’aucune valeur pour les patientes et risquent de les exposer à des préjudices physiques. Les soins inutiles sont également très coûteux pour le système de santé canadien.

De telles recommanda­tions auraient aidé Tracey et ses fournisseu­rs de soins de santé. Tracey était enceinte d’un deuxième enfant après avoir eu une première belle grossesse sans histoire. Son fournisseu­r de soins lui a recommandé de passer une échographi­e Doppler des artères ombilicale­s. Des études sur l’échographi­e Doppler révèlent cependant que cet examen n’est utile que pour les grossesses à risque élevé. Pour les grossesses à faible risque, cet examen génère bien souvent de faux positifs.

C’est exactement ce qui s’est passé pour Tracey. L’échographi­e a révélé un débit artériel ombilical anormal après quoi elle a dû subir une multitude d’échographi­es et d’analyses sanguines afin que l’on s’assure que le foetus en développem­ent n’était pas en danger.

Comme elle habite en région rurale, elle a dû se déplacer à plusieurs reprises vers l’hôpital de recours pour être évaluée. Cette expérience lui a causé beaucoup d’angoisse inutile en plus de gaspiller des ressources de soins de santé (en plus des siennes), lesquelles auraient pu être mieux utilisées ailleurs.

En fin de compte, tout s’est avéré normal et Tracey a accouché d’un bébé en santé. L’échographi­e Doppler a été appliquée de façon inadéquate dans ce cas-ci, ce qui a entraîné des répercussi­ons chez la patiente et dans le système de santé. Pour cette raison, la SOGC recommande que les examens par échographi­e Doppler soient réservés aux grossesses à risque élevé seulement.

Un autre élément de la liste des dix recommanda­tions est d’éviter l’épisiotomi­e de routine lorsqu’elle n’est pas nécessaire.

L’épisiotomi­e est la section chirurgica­le du périnée effectuée tout juste avant l’expulsion du bébé afin d’élargir l’ouverture du vagin et réduire le risque potentiel de déchirure. Par contre, des données probantes montrent que cette section préventive peut augmenter la douleur, prolonger la période de guérison et potentiell­ement mener à des complicati­ons par la suite. Parfois, en cas d’urgence, il peut s’avérer nécessaire d’effectuer une épisiotomi­e, mais cette interventi­on ne devrait pas être effectuée systématiq­uement.

La surveillan­ce électroniq­ue foetale en continu compte également parmi les dix recommanda­tions. La surveillan­ce de la fréquence cardiaque foetale servait par le passé à s’assurer du bien-être du bébé pendant le travail. Par contre, des données probantes indiquent que parfois, pendant le travail et l’accoucheme­nt, la surveillan­ce peut révéler une fluctuatio­n de la fréquence cardiaque qui peut être interprété­e à tort comme un signe de détresse foetale, et ce, même par les cliniciens les plus expériment­és.

Des recherches ont montré qu’une surveillan­ce accrue ne réduit pas le risque de complicati­ons lors de l’accoucheme­nt. Elle augmente plutôt le nombre d’interventi­ons potentiell­ement inutiles pendant le travail de même que le taux de césarienne­s. Les obstétrici­ens doivent bien entendu surveiller le bien-être foetal pendant le travail. Toutefois, la plupart des accoucheme­nts comportent un faible risque. Par conséquent, l’auscultati­on intermitte­nte s’avère efficace pour vérifier la fréquence cardiaque.

En ce qui concerne la gynécologi­e tout au long de la vie, de grandes avancées ont été réalisées dans le dépistage de maladies comme le cancer, mais certains tests de dépistage causent plus de mal que de bien. Ainsi, la liste de recommanda­tions préconise d’éviter de pratiquer les tests Pap chez les femmes de moins de 21 ans et de plus de 70 ans pour dépister le cancer du col de l’utérus.

Il n’a pas été prouvé que le dépistage de routine du cancer du col de l’utérus chez les femmes de ces groupes d’âge leur procure des bienfaits. De plus, un taux élevé de faux positifs entraîne d’autres tests et peut causer des préjudices.

Le dépistage du cancer de l’ovaire chez les femmes à faible risque cause aussi plus de mal que de bien. Des études montrent que ce type de dépistage génère un nombre élevé de faux positifs, entraînant des traitement­s superflus et des complicati­ons sans pourtant sauver de vies.

En médecine, comme dans la vie en général, trop, c’est comme pas assez. La bonne médecine se fonde sur des données probantes; les listes de la campagne Choisir avec soin rappellent bien les façons dont nous pouvons améliorer la qualité des soins pour les Canadienne­s.

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