La place de la Pologne au sein de l’Union européenne est menacée
Zofia Romaszewska, aujourd’hui octogénaire, s’est retrouvée en prison au début des années 1980 pendant que la loi martiale était en vigueur en Pologne. On la considère comme une héroïne nationale en raison de ses efforts pour défendre les droits de la per
Elle lui a expliqué: «Monsieur le Président, j’ai vécu dans un État [sous un régime communiste] où le procureur général occupait une position de pouvoir incroyable et pouvait essentiellement faire tout ce qu’il voulait. Je n’aimerais pas retourner à un tel État.» Et le président Duda l’a écoutée.
C’est tout à fait étonnant, car Duda est un ancien membre du parti Droit et Justice (présentement en fonction) et est généralement perçu comme la marionnette du chef du parti, Jaroslaw Kaczynski. Toutefois, la semaine dernière, il a rejeté de nouvelles loi qui auraient permis au ministre de la justice de congédier des juges qu’il n’aime pas - y compris l’entièreté de la cour suprême, s’il le voulait - et de les remplacer.
«À titre de président, je ne crois pas que cette loi renforcerait un sens de justice», a expliqué Duda dans une affirmation - ou plutôt un euphémisme - à la télévision nationale. Ses actions ont fortement encouragé les centaines de milliers de personnes qui manifestent à travers la Pologne contre les nouvelles lois. Mais nombreux sont ceux qui doutent toujours de sa sincérité.
En Pologne, une division étroite existe entre le gouvernement actuel, composé de populistes, de conservateurs sociaux, de catholiques fervents et d’ultranationalistes, et l’opposition que ceux-ci dénomment «le système» ou «l’élite». On dit que ce système inclut à la fois les libéraux, qui ont mené la résistance de la fédération Solidarité contre le régime communiste, et les crypto-communistes, qui existent supposément toujours et qui seraient maintenant de connivence avec les libéraux.
Ce n’est que de la paranoïa. Mais, conformément à la tendance culturelle en Pologne de s’apitoyer sur son sort et de jouer la victime, de nombreuses personnes y croient fermement. Le gouvernement de Droit et Justice, élu à la fin de 2015 avec une majorité absolue, dénonce les partis d’opposition, les qualifiant de traîtres corrompus qui se laissent influencer par des étrangers. Les partis d’opposition, quant à eux, se méfient complètement du gouvernement - y compris le fait que le président Duda a changé d’avis.
Ils croient qu’il cherche juste à gagner du temps: Duda fera en sorte que les manifestants retourneront chez eux puis signera une version des lois légèrement modifiée pour arracher l’indépendance des juges. Il se peut que ces partis aient raison. Personne ne pourra le savoir avec certitude jusqu’à ce que le gouvernement réponde à son veto.
La question ne s’arrête pas à la Pologne. Il faut également se demander si l’UE accepterait qu’un de ses membres soit antidémocratique. Qui vivra verra.
Sans l’UE, c’est probable que les États en Europe de l’Est auparavant menés par un régime communiste ne seraient pas devenus démocratiques. Ils cherchaient désespérément à devenir membres de l’Union européenne pour empêcher que la Russie se mêle de leurs affaires - et l’UE n’accepte que des démocraties.
Qui plus est, l’UE décrit clairement comment les États démocratiques devraient se comporter, et la séparation des pouvoirs représente un des principes de base: les tribunaux ne peuvent être sous l’autorité du gouvernement. Dès le moment où le parti du Droit et Justice a mis en vigueur des lois touchant à l’indépendance des juges, la Pologne ne répondait plus aux critères pour être membre de l’UE.
De hauts représentants de l’UE discutaient ouvertement d’enlever à la Pologne ses droits de vote dans le Conseil de l’Union européenne (institution de l’UE comparable à un gouvernement) jusqu’à ce que Duda annonce qu’il imposera son veto aux nouvelles lois. S’il advient que le président ne cherchait qu’à gagner du temps et finit par signer des lois similaires, les discussions se poursuivront - et l’UE pourrait même avoir recours à des mesures financières contre la Pologne.
Le gouvernement polonais ne pourrait jamais menacer de quitter l’UE: 75% des Polonais croient que leur adhésion contrebalance la présence menaçante de la Russie. L’UE a tous les atouts en main, mais il reste à voir si elle s’en servira.
L’UE n’est pas connue pour prendre des mesures téméraires, et elle aurait à surmonter l’opposition de la Hongrie, un autre membre excommuniste de l’UE doté d’un gouvernement autoritaire (bien que celui-ci soit moins extrême que les autres). Toutefois, si jamais l’UE ne défendait pas ses valeurs fondamentales, il y aurait des répercussions néfastes sur la cohésion au sein de l’association.
Si Duda ne fait que plaisanter, on verra peutêtre un véritable affrontement dans un ou deux mois.