Acadie Nouvelle

GWYNNE DYER: LA GUERRE PLUTÔT QUE LA DESTITUTIO­N

Anthony Zurcher, correspond­ant en Amérique du Nord pour la BBC, a tapé dans le mille dans un reportage le 27 juillet: «Si Abraham Lincoln avait sa fameuse “équipe d’adversaire­s” au sein de son administra­tion, la situation est bien différente aujourd’hui»,

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Depuis le début de la fusillade, plusieurs blessés sont sortis de la Maison-Blanche en boitant, entre autres Sean Spicer, Michael Short et Reince Priebus. Anthony Scaramucci, le nouveau directeur des communicat­ions, est la victime la plus récente, et ce, dix jours après son entrée en fonction.

Un discours prononcé par Scaramucci, qui aurait pu lui-même apparaître dans un film de Quentin Tarantino (il semble s’inspirer de M. Pink de Reservoir Dogs, interprété par Steve Buscemi), a remporté le prix pour le moment le plus étonnant à la Maison-Blanche des dernières semaines. Il s’est lancé dans une diatribe truffée de gros mots qui a forcé la démission du chef de cabinet, Reince Priebus.

Et pourquoi le nouveau chef de cabinet, le général John Kelly, a-t-il maintenant congédié Scaramucci? C’est peut-être parce qu’il jure comme un charretier, mais plus probableme­nt parce que Scaramucci relevait directemen­t de Trump et non pas du général Kelly.

Les choses à la Maison-Blanche commencent à s’effondrer beaucoup plus tôt que même les partisans les plus avertis de Trump auraient pu le prédire, et pas nécessaire­ment en raison du dysfonctio­nnement qui y règne.

Les États-Unis fonctionne­raient parfaiteme­nt bien - en fait, plutôt mieux - si Trump ne menait pas à bien ce qu’il publie dans ses gazouillis. Le gros problème, c’est qu’il rompt ses liens avec le Parti républicai­n.

Trump n’a jamais été un véritable républicai­n; il est populiste et est donc sans idéologies. Si une tragédie avait frappé Barack Obama et que Trump avait décidé d’entrer dans la course en 2008, celui-ci aurait pu facilement poser sa candidatur­e au poste de chef du Parti démocratiq­ue.

Les ténors du Parti républicai­n l’ont su et se sont efforcés de l’empêcher de gagner l’élection républicai­ne l’an dernier. Bien qu’ils n’aient pas réussi, Trump leur a remporté la clé de la Maison-Blanche, ils se trouvent donc dans un partenaria­t assez inconforta­ble depuis lors. Mais ce ne sera bientôt plus le cas.

Selon une entente non écrite, les républicai­ns bien établis devaient obtenir des postes de haut niveau à la Maison-Blanche de Trump. Reince Priebus était le plus important parmi ces républicai­ns, mais il a néanmoins suivi Katie Walsh, chef de cabinet adjointe, Mike Dubke, directeur des communicat­ions, Sean Spicer, porte-parole, et Michael Short, porte-parole adjoint, qui ont déjà tous été poussés vers la porte.

Il ne reste plus que des nationalis­tes blancs de la droite alternativ­e comme Steve Bannon et Stephen Miller, des New Yorkais aux tendances démocratiq­ues comme Jared Kushner, Dina Powell et Gary Cohn, des membres de la famille Trump (Donald Jr et Ivanka), des anciens hommes d’affaires comme le secrétaire d’État Rex Tillerson (qui est peut-être sur le point de démissionn­er) et un trio de généraux.

C’est la paralysie assurée, mais quelle importance? Veut-on vraiment une administra­tion à la Maison-Blanche qui a permis à Donald Trump d’imposer sa volonté (ou plutôt ses caprices) aux États-Unis et, dans une certaine mesure, au monde entier? Bien sûr que non, et les ténors du Parti républicai­n n’en veulent pas non plus. Mais ils veulent certaineme­nt maintenir le contrôle sur la Maison-Blanche.

Les républicai­ns qui pensent à long terme savent que l’opinion de la population des États-Unis n’évolue pas en leur faveur. Étant donné qu’ils détiennent présenteme­nt le contrôle dans les deux chambres du Congrès et (au moins en principe) dans le Bureau ovale, c’est peut-être leur dernière chance de transforme­r leur image et leurs politiques de façon à attirer au moins quelques-unes des minorités émergentes.

S’ils ne détiennent pas le contrôle de la Maison-Blanche, ils n’y arriveront pas. Pour assurer leur succès, il faudrait que Trump s’en aille et que le vice-président Mike Pence (un véritable républicai­n) prenne les commandes. La destitutio­n de Trump permettrai­t de mettre ce plan en vigueur.

Il serait difficile d’y parvenir sans diviser le Parti républicai­n, même si l’enquête du FBI en cours met en évidence des preuves accablante­s des liens de Trump avec la Russie. Mais une destitutio­n est maintenant une possibilit­é, tandis qu’auparavant ce n’était pas encore envisageab­le.

Ce serait très risqué. Les républicai­ns au Congrès ne pourraient pas se débarrasse­r de Trump avant novembre 2018 et les répercussi­ons d’une destitutio­n pourraient leur coûter le maintien du contrôle au Congrès lors des élections de mi-mandat. Idéalement, par contre, un résultat positif permettrai­t aux républicai­ns de se préparer pour l’élection de 2020 avec le président Pence en fonction à la Maison-Blanche et de belles réussites législativ­es à leur actif.

Que ferait Trump en cas de destitutio­n imminente? Il ferait peut-être une négociatio­n de plaidoyer et démissionn­erait, mais cela ne lui ressemble pas. Son instinct lui dicterait de se battre. Il privilégie principale­ment les diversions comme méthode de lutte, et la meilleure diversion serait une guerre - mais contre qui?

Même Trump aurait de la difficulté à vendre aux Américains l’idée d’une guerre contre l’Iran. En dépit de toute la propagande, ils ne se sentent pas vraiment menacés par ce pays, tandis que la Corée du Nord est assez provocatri­ce pour que Trump fasse valoir un (faible) argument pour l’attaquer.

S’il croyait que sa présidence était en danger, il n’hésiterait pas à le faire.

 ??  ?? Le belliqueux Donald Trump ne laissera très certaineme­nt pas son siège à la Maison-Blanche sans montrer les crocs. - Associated Press: Evan Vucci
Le belliqueux Donald Trump ne laissera très certaineme­nt pas son siège à la Maison-Blanche sans montrer les crocs. - Associated Press: Evan Vucci
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