«LA CREVETTE ÉTAIT AU RENDEZ-VOUS»
Malgré une importante réduction des quotas de crevettes nordiques dans le golfe du Saint-Laurent, les pêcheurs du Nouveau-Brunswick s’en sont mieux tirés que prévu cette année, dit Michel Légère, président de l’Association des crevettiers acadiens du Golfe.
Le capitaine du Marc-André Guillaume et ses cinq membres d’équipage ont terminé leur saison de pêche il y a quelques jours.
«On s’attendait à pire. Il y a eu une diminution du quota. Ça nous a inquiétés au début, mais on s’est rapidement rendu compte qu’il ne fallait pas s’inquiéter autant que prévu. La crevette était au rendezvous», explique M.Légère.
Des changements sont cependant en cours dans l’industrie. Dans les eaux au large de la Nouvelle-Écosse, les prises des pêcheurs acadiens étaient limitées à 526,06 tonnes métriques, une baisse de 252,51 tonnes par rapport à l’année précédente.
Selon Pêches et Océans Canada, la diminution des stocks variait de 27% à 32% dans les zones de l’Estuaire, de Sept-Îles et d’Anticosti. Seule la zone de l’Estuaire n’est pas fréquentée par les crevettiers du Nouveau-Brunswick.
C’est dans la région de Sept-Îles où Michel Légère a remarqué la plus grande différence.
«Ç’a été un peu plus problématique. Habituellement, les gars font de bonnes pêches, mais cette année, c’était plus tranquille.»
Même si la pêche aux crevettes nordiques connaît actuellement des difficultés, M. Légère n’est pas prêt à sonner l’alarme, les choses ont déjà été pires et les stocks de l’espèce sont régulièrement soumis à des fluctuations, remarque-t-il.
«On a déjà vu ça auparavant. Quand on recule dans le temps, on n’a pas toujours fait des merveilles. Les prises sont encore bonnes, même si elles ont diminué un peu. Elles sont quand même élevées en général, même s’il y a des zones qui sont un peu plus problématiques que d’autres.»
Il continue néanmoins de surveiller de près les rapports de Pêches et Océans Canada.
«Ça va nous donner une bonne idée de ce qui se passe.»
UN MIROIR DU FUTUR
Selon Piero Calosi, professeur au département de biologie, chimie et géographie à l’Université du Québec à Rimouski, cette situation anormale pourrait encore se poursuivre pendant plusieurs années.
«Cette anomalie, c’est comme un miroir du futur. C’est une façon de dire qu’il pourrait avoir un déclin chronique de la crevette nordique et un changement substantiel de la structure de l’écosystème marin.»
Piero Calosi et une équipe de chercheurs vont bientôt entamer un projet de recherche majeur, échelonné sur trois ou quatre ans, pour mieux comprendre l’évolution de cette tendance. Le projet doit aussi comprendre la participation des pêcheurs du Nouveau-Brunswick.
«Notre idée est de mettre sur pied un projet multidisciplinaire pour mieux comprendre les changements physiologiques induits par les changements climatiques ainsi que l’acidification et la désoxygénation de l’océan. Ces données vont nous permettre de dresser des modèles qui vont nous informer où la crevette sera capable de vivre à l’avenir dans un océan qui change.»
En raison de sa dépendance à l’eau froide, la crevette nordique est vulnérable aux changements climatiques.
«On sait que c’est une espèce qui vit dans l’eau froide, donc c’est une espèce qui pourrait souffrir de façon importante.»
D’autres éléments menacent aussi la crevette, dont les changements du taux d’alcalinité de l’océan qui connaît d’importants soubresauts et la hausse de la pollution, qui mène à une perte d’oxygène.
Les conséquences de ces bouleversements se font déjà ressentir à certains endroits. La chute des stocks a même poussé le gouvernement du Maine à imposer un moratoire sur la pêche aux crevettes il y a quatre ans.
«Avec le réchauffement des océans, la même chose pourrait éventuellement se reproduire plus au nord. Les changements physiques et chimiques de la mer vont causer des pertes en abondance.»
Un autre facteur menace les crevettes nordiques, soit la croissance fulgurante du sébaste. Ce poisson de fond est l’un des principaux prédateurs du petit crustacé.
«L’arrivée du sébaste cause une perte de biomasse.»
Piero Calosi ne perd pas espoir. Les êtres humains ont toujours le pouvoir de changer le cours des choses, croit-il.
«Certains changements globaux sont causés par l’activité humaine. En tant qu’individus, nous pouvons nous engager à changer les choses et à réduire les gaz à effet de serre et la pollution.»
«Le taux d’alcalinité est resté stable au cours des dernières 105 000 années, mais c’est en train de changer très rapidement. De l’autre côté, à cause du réchauffement et de la pollution, il va avoir une perte d’oxygène, qui est à la base de la vie. On s’attend à ce que ces enjeux multiples causent des pertes abondantes.»