Quatre enjeux linguistiques qui ont marqué l’Acadie ces derniers mois
NDLR: Nous profitons de la fête nationale de l’Acadie pour faire le point sur les grands enjeux linguistiques qui ont marqué l’Acadie du Nouveau-Brunswick au cours des derniers mois ou qui risquent de faire les manchettes prochainement. La dualité en garderie
La dualité en petite enfance est un projet inachevé au Nouveau-Brunswick, selon Gino LeBlanc. Sept ans après l’intégration du Développement de la petite enfance au sein du ministère de l’Éducation, les francophones ne bénéficient toujours pas d’une structure complètement homogène, souligne l’expert dont les recommandations ont inspiré le plan d’éducation de dix ans du gouvernement Gallant.
Pire encore, la province finance toujours les garderies bilingues.
«Je dirais que le dossier stagne. Nous n’avons pas développé une législation pour assurer qu’il n’y ait plus de garderies bilingues. Politiquement, je comprends que c’est difficile. Les gouvernements Graham, Alward et Gallant n’ont pas osé faire un pas de plus.»
Pourtant, l’enjeu est énorme pour la société acadienne, prévient M. LeBlanc.
«Les garderies bilingues sont des lieux d’assimilation. Une vraie dualité voudrait dire que nous avons deux lieux de gouvernance séparés pour les garderies et tous les programmes d’appui aux parents.»
«Si le gouvernement du NouveauBrunswick veut appuyer le français, c’est un obstacle majeur de ne pas avoir la petite enfance construite autour d’une dualité complète», estime Gino LeBlanc.
Lors de la présentation du Plan d’éducation de dix ans l’an dernier, le premier ministre Brian Gallant a indiqué aux médias que la dualité complète en petite enfance n’était «pas dans nos plans actuels». Bilinguisme obligatoire chez les associations professionnelles
Robert Levesque s’est battu presque toute sa carrière pour obtenir les mêmes services que ses collègues anglophones au sein de l’Association de cosmétologie du Nouveau-Brunswick. Jusqu’à l’an dernier, les associations professionnelles n’étaient pas soumises à la loi sur les langues officielles.
«Les cours pour les instructeurs se donnaient en anglais. Pour sauver de l’argent, ils disaient qu’ils n’y avait pas assez de gens pour donner les cours en français», raconte le propriétaire du Salon Chez Robert de Bathurst.
«Il y a des examens qui étaient ambigus. Ça ne disait pas la même chose en français et en anglais.»
«Quand j’ai eu mon certificat de l’Association pour la coiffure en 1978, je leur ai demandé de me l’envoyer en français. Ils me l’ont envoyé en anglais», relate-t-il.
Lorsque l’article sur les associations professionnelles de la loi sur les langues officielles est entré en vigueur, le 1er juillet 2016, Robert Levesque n’a pas tardé à porter plainte à la commissaire aux langues officielles. Katherine d’Entremont lui a donné raison quelques mois plus tard.
«Depuis que la loi est en vigueur, oui, ça s’est amélioré, constate M. Levesque. Mais il fallait toujours se chicaner pour que ça soit fait.»
La commissaire aux langues officielles n’a pas encore publié de rapport sur les associations professionnelles depuis qu’elles sont assujetties à la loi. En entrevue de fin d’année, l’année dernière, Mme d’Entremont a cependant confié avoir déjà beaucoup de «pain sur la planche par rapport à ces associations». La dualité en immigration
Il n’y a pas qu’en petite enfance que l’on revendique la dualité dans la province. Aux prises avec une population francophone en déclin, la Société de l’Acadie du NouveauBrunswick revendique aussi la dualité en matière d’immigration.
«Je crois sincèrement que pour atteindre les cibles en immigration francophone on va devoir permettre aux francophones de gérer le dossier de l’immigration», avance le président de la SANB, Kevin Arseneau.
«Il y a des gros défis d’immigration en milieu rural. Je ne suis pas certain que quelqu’un qui ne connaît pas la cause acadienne va être capable de faire un bon travail. On le voit déjà aujourd’hui.»
Les francophones représentent un peu moins du tiers de la population du NouveauBrunswick. De 2001 à 2011, seulement 14% des immigrants qui ont choisi la province étaient francophones.
En 2014, le gouvernement a adopté un plan d’action pour faire passer cette proportion à 23% en 2017.
L’Accord Canada-Nouveau-Brunswick sur l’immigration 2017 contient de nombreux passages sur l’immigration francophone. Ottawa et Fredericton se sont engagés à «promouvoir conjointement l’immigration dans les communautés francophones du NouveauBrunswick».
Fredericton a également consenti «à consulter les communautés francophones en ce qui a trait aux questions d’immigration».
Au final, les résultats de l’immigration francophone dans la province sont «mitigés», résume Kevin Arseneau.
«Dire que c’est complètement pourri, je pense que ça serait exagéré, mais si j’étais membre du gouvernement, je ne me taperais pas sur l’épaule. Il y a beaucoup de travail qui reste à faire.» La haute fonction publique
Comme l’oxygène au sommet des montagnes les plus élevées, le français se fait rare dans les plus hautes sphères de la fonction publique au Nouveau-Brunswick.
La commissaire aux langues officielles révélait en juin que les représentants des organismes francophones ont souvent de la difficulté à conduire leurs affaires en français avec les hauts fonctionnaires.
Selon Katherine d’Entremont, certains hauts dirigeants qui se déclarent bilingues ont en réalité une maîtrise du français insuffisante pour participer à des réunions en français.
Tout comme elle l’avait fait une première fois en 2015, la commissaire a demandé au gouvernement d’exiger le bilinguisme dans toutes les nouvelles nominations aux postes de sous-ministre, de sous-ministre adjoint ou de cadre supérieur à compter de 2020.
Le gouvernement a rejeté à nouveau la proposition de Mme d’Entremont.
«Chaque ministère possède des gens capables de servir les Néo-Brunswickois dans les deux langues», a répondu le ministre responsable des langues officielles, Donald Arseneault.
Le gouvernement du premier ministre Gallant refuse également de désigner «bilingues» les postes de hauts fonctionnaires indépendants de l’Assemblée législative, continuant ainsi d’aller à l’encontre des recommandations de la commissaire.
L’an dernier, Fredericton a nommé trois nouveaux hauts fonctionnaires indépendants, dont une qui ne parle pas français.
Le refus du gouvernement Gallant d’imiter son grand frère fédéral en cette matière équivaut à «nier le principe d’égalité» des deux communautés linguistiques, selon Katherine d’Entremont.