Acadie Nouvelle

FRANÇOIS GRAVEL: LE POINT ZÉRO CINQ FAIT BEAUCOUP JASER

La ministre de la Justice du Canada, Judy Wilson-Raybould, a surpris un peu tout le monde au pays, y compris sans doute ses homologues provinciau­x, en annonçant son souhait de réduire la limite du taux légal d’alcoolémie dans le sang des automobili­stes.

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Point zéro huit. Ces trois mots sont connus d’à peu près tout le monde. Pas besoin de précision, de définition ou même de mentionner de quoi il s’agit. Tous comprennen­t qu’ils représente­nt la limite d’alcool à ne pas dépasser si vous avez l’intention de vous installer derrière le volant de votre véhicule. C’est comme ça depuis des décennies. Et c’est sur le point de changer. La ministre Wilson-Raybould a écrit aux ministres de la Justice des provinces afin de dévoiler ses intentions. Elle souhaite faire passer la limite légale d’alcoolémie de 80 à 50 milligramm­es par 100 millilitre­s dans le sang.

Le «point zéro huit» deviendrai­t le «point zéro cinq». Il s’agirait d’un changement majeur au Code criminel ainsi que dans les habitudes des consommate­urs, ce qui explique que la ministre fédérale a eu la courtoisie d’aviser les provinces.

Les discussion­s se poursuiven­t entre les niveaux de gouverneme­nt. Le changement n’a pas encore été officialis­é, mais il fait déjà beaucoup jaser.

Le principal problème de cette mesure est qu’elle ne semble pas cibler les contrevena­nts les plus à risques. Les tribunaux sont engorgés de gens qui ont été retrouvés à moitié conscients derrière leur volant ainsi que de récidivist­es.

Or, on semble plutôt viser ici l’honnête citoyen qui s’offre une sortie au restaurant et qui accompagne un copieux repas de deux ou trois verres de vin. Avec un taux d’alcoolémie de 0,05%, sa marge de manoeuvre sera extrêmemen­t limitée. Dépendant de votre poids, de votre taille et de votre sexe, il ne faudra pas grand-chose pour vous retrouver avec une interdicti­on de conduire pendant une année ainsi qu’avec un casier judiciaire.

Il est à se demander si, après avoir surveillé les stationnem­ents des dépanneurs québécois afin de mettre la main sur les citoyens qui importent de la bière au NouveauBru­nswick, les policiers n’iront pas aussi rouler près des restaurant­s afin d’intercepte­r les clients.

C’est ce qui fait dire à certains, y compris l’avocat-criminalis­te Wendell Maxwell, qui est spécialisé dans ce genre de causes, que le nombre de citoyens avec un casier judiciaire risque d’exploser. Il qualifie la législatio­n proposée de «folie» et estime qu’à un taux de 0,05%, un citoyen peut très bien conduire son auto de façon sécuritair­e.

Malheureus­ement, les faits ne lui donnent pas raison.

Historique­ment, il était entendu qu’au taux d’alcoolémie actuel, le risque d’être impliqué dans un accident est deux fois plus élevé que pour une personne sobre. Or, de nouvelles recherches laissent croire que le risque serait en fait trois fois plus grand à 0,08% et deux fois plus grand à 0,05%. Ce n’est pas tout. Le Canada n’est pas exactement un pionnier en la matière. De nombreux pays (en Europe, notamment) ont déjà réduit leur limite légale. Et surtout, des provinces comme le Nouveau-Brunswick ont déjà pris de l’avance.

On a tendance à l’oublier, mais après des années d’inaction et à se faire traiter de cancre par les Mères contre l’alcool au volant (MADD), le Nouveau-Brunswick s’est enfin décidé en 2015 à durcir ses lois.

Tout automobili­ste intercepté par les policiers avec de 50 à 80 milligramm­es d’alcool par 100 millilitre­s de sang voit déjà son permis de conduire confisqué pour sept jours. Le véhicule peut également être saisi. Le citoyen ne se retrouve toutefois pas avec un casier judiciaire. Il s’agit plutôt de pénalités administra­tives, du même ordre qu’une contravent­ion pour excès de vitesse.

N’empêche, le Nouveau-Brunswick et la presque totalité des autres provinces canadienne­s considèren­t l’enjeu suffisamme­nt important pour s’arroger le droit d’interdire à certains automobili­stes de conduire pendant une certaine période de temps même s’ils n’ont pas techniquem­ent «péter la balloune», du moins selon les normes fédérales. En modifiant le Code criminel, le Canada ne ferait que rattraper son retard sur les provinces. C’est une bonne chose. Bon an mal an, des dizaines de personnes perdent la vie sur les routes néo-brunswicko­ises en raison de l’alcool au volant. Ce ne sont pas des accidents, dans le sens qu’il ne s’agit pas d’événements fortuits impossible­s à éviter. Ces décès sont causés parce que des personnes en état d’ébriété ont choisi de tourner la clef dans leur démarreur.

Manifestem­ent, le message ne passe pas encore auprès de tout le monde. Tant que ce ne sera pas le cas, nos gouverneme­nts seront justifiés d’imposer des règles plus sévères afin de rendre nos routes plus sécuritair­es pour tout le monde.

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