Acadie Nouvelle

Le peuple aime-t-il vraiment qu’on lui mente?

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En lisant dans le journal l’avis d’Acadian Timber sur l’épandage prochain d’herbicides, j’ai pensé à cette savoureuse réplique de Louis de Funès dans le film Rabbi Jacob: «mais le peuple aime qu’on lui mente!»

La compagnie affirme que «ce produit contient du glyphosate et que… de six heures à douze heures après l’arrosage, le produit entre dans les plantes et empêche celles-ci de produire une enzyme spécifique à la plante dont elle a besoin pour survivre. Cette enzyme se trouve uniquement dans les plantes, et c’est la raison pour laquelle le glyphosate est très peu toxique pour les animaux et les humains.»

Il y a un quelques bémols à cette affirmatio­n. Il est vrai que cette enzyme spécifique aux plantes nous ne l’avons pas dans nos cellules mais cette enzyme est présente dans les bactéries, incluant celles de notre microbiote. Le glyphosate est d’ailleurs breveté comme un antibiotiq­ue et agit comme tel.

D’après plusieurs chercheurs, il perturbe sévèrement la flore intestinal­e humaine, cette flore qui est essentiell­e pour le maintien de la santé. Il est probable aussi que le glyphosate peut favoriser le développem­ent d’une résistance aux antibiotiq­ues, favoriser le développem­ent du cancer, de maladies inflammato­ires des intestins, perturber le rôle des acides aminés dans le corps, favoriser le développem­ent de problèmes neurologiq­ues comme l’autisme, et agir comme un perturbate­ur endocrinie­n.

Autre affirmatio­n de la compagnie: «l’herbicide qui n’atteint pas les plantes se lie très fortement aux particules du sol. Les bactéries et autres microorgan­ismes du sol décomposen­t le glyphosate en produits naturels tels que le dioxyde de carbone, l’azote, l’eau et le phosphate.»

Il y a eu une époque où une utilisatio­n créative de mots clefs comme produits naturels pouvait rassurer, mais vraiment… c’est comme avoir la pensée magique de l’enfance; on répand une toxine dans l’environnem­ent et par magie elle disparaît?

Lors d’études québécoise­s, on a détecté du glyphosate dans 88 à 97% des cours d’eau agricoles et des traces du produit furent retrouvées dans toutes les eaux souterrain­es analysées. On retrouve maintenant du glyphosate dans le pain, le vin, la bière et plusieurs autres aliments parce qu’il est fortement utilisé en agricultur­e. Au Nouveau-Brunswick où l’épandage du glyphosate est si répandu, est-ce que le gouverneme­nt fait des analyses dans le sol, les cours d’eau, le sang des individus? Les bactéries dans la baie de Shediac ne sont probableme­nt pas le pire problème de notre pauvre océan.

En 2011, l’Université de Sherbrooke a publié une étude sur des femmes dont certaines étaient enceintes. On a trouvé des herbicides et pesticides, dont le glyphosate, dans le sang de la majorité d’entre elles ainsi que dans le cordon ombilical des foetus. Une récente étude au Riley Hospital For Children en Indiana a trouvé du glyphosate dans le sang de 63 des 69 femmes enceintes.

Grosse nouvelle, le glyphosate ne disparaît pas par magie, mais il existe de puissants intérêts économique­s qui veillent au grain (je ne pense pas seulement à la compagnie Irving). Le New York Times a révélé récemment une collusion entre la compagnie Monsanto et l’agence américaine de protection de l’environnem­ent (EPA) afin de supprimer les données et informatio­ns sur les liens entre cancer et exposition au glyphosate.

Je veux d’ailleurs féliciter la Ville de Tracadie pour sa décision de légiférer pour bannir le glyphosate. C’est ironique que le N.-B., en la personne du ministre de la Santé, ait annoncé que fumer le tabac en public serait passible d’une amende. Par contre mes voisins ont le droit d’arroser des herbicides sur les pissenlits au printemps, les fermes d’arroser les cultures et sur tout le voisinage, ces produits étant très volatils. Comme citoyenne je n’ai aucun recours de protection.

Plusieurs industriel­s, penseurs universita­ires et politicien­s (il y a des exceptions comme David Coon, la Dre Eilish Cleary) vivent toujours à l’époque du début de la révolution industriel­le. Ils ne savent clamer autre chose qu’«il ne faut pas arrêter le développem­ent». Heureuseme­nt, de plus en plus de gens ont pris conscience que le concept «développem­ent» doit vouloir dire améliorati­on de la qualité de vie et non-dégradatio­n de la planète et de notre santé.

Nous avons besoin d’une révolution verte dans nos valeurs et nos façons de faire. Nous avons besoin d’une réflexion et d’une mobilisati­on collective et elle était nécessaire il y a 50 ans.

Alors personnell­ement, j’aimerais qu’on arrête de nous prendre pour des cruches et qu’au lieu de résister les changement­s qui sont nécessaire­s, que le gouverneme­nt se range du côté du vrai développem­ent, du vrai progrès, au profit de tous, et non seulement pour les puissants et riches de ce monde.

Nos décideurs ont besoin de réagir rapidement afin que n’arrive pas cette prophétie amérindien­ne; «quand le dernier arbre sera abattu, la dernière rivière empoisonné­e, le dernier poisson capturé, alors seulement vous vous apercevrez que l’argent ne se mange pas.»

Santé Canada préfère ignorer ces études et suivre les données de la compagnie productric­e du produit comme il l’a été fait si souvent dans le passé pour le tabac et bien d’autres produits. Malheureus­ement, le sceau «Approuvé par Santé Canada» a perdu de son lustre depuis belle lurette.

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