Acadie Nouvelle

Qu’est-ce que l’extrême droite, au juste?

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Entre le rassemblem­ent de suprémacis­tes blancs qui s’est terminé par une mort, le week-end dernier, en Virginie, et la manifestat­ion organisée ce dimanche par le groupe La Meute, des inquiétude­s se soulèvent quant à la montée de l’extrême droite en Amérique du Nord et ailleurs dans le monde. Caroline St-Pierre

La Meute se défend publiqueme­nt de faire partie de l’extrême droite, mais qu’en est-il vraiment? David Morin, professeur à l’Université de Sherbrooke et codirecteu­r de l’observatoi­re sur la radicalisa­tion et l’extrémisme violent, s’est entretenu avec La Presse canadienne pour démystifie­r cette idéologie. Qu’est-ce que l’extrême droite?

David Morin: L’extrême droite renvoie à un courant idéologiqu­e qui est clairement positionné à droite, qui a souvent un discours, à l’époque, contre-révolution­naire et donc très conservate­ur, qui est très centré sur les valeurs nationales et qui va aussi avoir une espèce de nostalgie du passé et un discours souvent exclusif, donc pas très porté sur l’inclusion des autres. Historique­ment, elle renvoie aux pires heures de l’Europe. Aujourd’hui, elle a quand même évolué, parce qu’on a une extrême droite qui est devenue beaucoup plus légaliste et qui essaie de ne pas se faire appeler extrême droite. Le meilleur exemple, c’est la France, le Front National. Aujourd’hui, Marine Le Pen refuse le qualificat­if d’extrême droite. Pourquoi les gens se dissocient-ils de l’extrême droite même si on a l’impression que leurs comporteme­nts et leurs valeurs sont représenté­s dans ce courant?

David Morin: Ça dépend des mouvements. Il y a des mouvements qui revendique­nt clairement leur appartenan­ce à l’extrême droite. Il y en a d’autres qui s’en dissocient, mais qui, finalement, épousent vraiment cette idéologie-là. De manière générale, dans certains nombres de sociétés, c’est disqualifi­ant de se faire appeler d’extrême droite, ça renvoie à l’idéologie raciste, ça renvoie en Europe à des sombres heures de l’histoire de nos sociétés, donc c’est sûr que c’est un peu un qualificat­if infamant, pour un certain nombre de groupes, surtout s’ils veulent jouer un rôle, que ce soit en tant que lobby ou en tant que parti politique. À partir de quand peut-on, de façon objective, dire d’un groupe qu’il fait partie de l’extrême droite?

David Morin: Il faut le regarder au cas par cas (...). Mais je vous dirais que vous avez peut-être trois grandes catégories. Vous avez l’extrême droite qui s’assume, qui va tenir parfois des discours haineux ouvertemen­t ou plus ou moins ouvertemen­t et même des discours incitant carrément à la violence. Vous avez une extrême droite plus légaliste, donc on assume les principaux thèmes de l’extrême droite, mais on fait attention à ne pas paraître raciste, etc. Et puis vous avez un troisième mouvement, qui est probableme­nt le plus important actuelleme­nt, qui est un mouvement plus populiste, nationalis­te identitair­e, avec un peu de conservati­sme, pas forcément du conservati­sme partisan, mais du conservati­sme politique. La Meute s’est publiqueme­nt défendue de faire partie de l’extrême droite. Qu’en pensez-vous?

David Morin: La Meute, pour moi, correspond davantage à un mouvement populiste, nationalis­te identitair­e — nationalis­te pouvant être soit Québécois soit Canadien, puisqu’il y a à la fois des fédéralist­es et des souveraini­stes dans ce mouvement-là. Avec, évidemment, tout un discours aussi sur le rejet des élites politiques et médiatique­s, un discours un peu victimaire sur le fait qu’on brime leur liberté d’expression alors que ce n’est pas vraiment le cas puisqu’on n’entend parler que d’eux depuis plusieurs mois au Québec et au Canada. Voilà pour le mouvement général, maintenant, c’est très clair que ce groupe-là a des individus qui sont beaucoup plus extrémiste­s en son sein d’une part et d’autre part, il converge sur certains thèmes qui sont souvent récupérés par l’extrême droite (comme celui) de l’immigratio­n. Je pense qu’ils sont tout à fait conscients de ce qu’ils font, mais que le risque dans la convergenc­e de ces idéologies-là, c’est que La Meute normalise un discours un peu nauséabond, tout en donnant l’impression que ce groupe-là n’est pas extrémiste. Les médias et les gens en général doivent-ils faire preuve de prudence dans le terme utilisé pour qualifier ce genre de groupe?

David Morin: Oui, je pense que c’est important de ne pas mettre tout le monde dans le même panier parce que si tout devient de l’extrême droite, plus rien ne devient de l’extrême droite, notamment pour ce qui est des discours haineux et violents. Il faut faire attention aussi à écouter, dans une certaine mesure, les inquiétude­s et à comprendre les conditions d’émergence de ce type de mouvements­là. Le risque à systématiq­uement les disqualifi­er en extrême droite, c’est finalement les rejeter un peu en dehors de la société, alors que dans ces groupes-là, vous avez quand même une bonne partie de gens qui ont des inquiétude­s, et probableme­nt qu’il est plus intelligen­t de répondre à ces inquiétude­s-là en expliquant ce qu’on va faire pour y faire face. (...) Je pense que c’est beaucoup plus constructi­f de faire ça pour désamorcer ce discours et d’éviter qu’il ne se répande plutôt que de systématiq­uement disqualifi­er les gens eux-mêmes. Si on va dans l’autre sens complèteme­nt, le président américain Donald Trump a récemment parlé de l’«alt-left» comme contraire à la soi-disant droite alternativ­e. Est-ce que l’extrêmegau­che est aussi présente?

David Morin: On est dans la cour de récréation à savoir qui a jeté le caillou en premier. Je pense que quand le président Trump fait ça, il essaie évidemment de renvoyer dos à dos deux idéologies pour finalement non pas légitimer, mais en tout cas moins discrédite­r l’idéologie d’extrême droite aux États-Unis, qui correspond à une bonne partie de son électorat. Je veux bien qu’on rejette de manière globale toutes les formes de violence (...), mais renvoyer ces deux idéologies dos à dos me pose problème, notamment parce qu’historique­ment, l’extrême gauche, malgré tous ses déboires, a quand même eu un discours, si on le remet aujourd’hui dans notre société contempora­ine, beaucoup plus inclusif qu’exclusif. Le discours d’extrême gauche ne rejette pas l’immigrant, ne rejette pas l’autre. Il rejette certaines formes de capitalism­e, mais je le trouve plus porteur d’une cohésion sociale que d’une exclusion sociale. Y a-t-il des groupes d’extrême droite au Québec?

David Morin: Oui. Il y en a plusieurs. Je pense qu’on pourrait assez aisément dire que des groupes comme Atalante, comme la Fédération des Québécois de souche ou même Les soldats d’Odin, à défaut de les qualifier d’extrême droite, on pourrait dire que leur discours emprunte largement à des thèmes qui sont défendus par des groupes d’extrême droite qui s’assument. (...) Je pense que la difficulté au Québec et au Canada est de savoir quelle importance réelle on accorde (à de tels groupes) compte tenu de leur capacité de mobilisati­on. C’est ça qu’on va voir dimanche. C’est une chose de dire qu’on a 55 000 membres sur Facebook (nombre allégué de membres du groupe secret de La Meute, NDLR), c’en est une autre de mobiliser des gens qui vont aller dans la rue pour finalement défendre leurs idées. Jusqu’à présent, leur capacité de mobilisati­on a quand même été plutôt faible. On les a beaucoup entendu parler, mais on ne les a pas beaucoup vus. Ce qu’il faut éviter et absolument refuser, c’est que ce genre de discours-là se normalise, devienne un discours banal, accepté, qu’on puisse avoir une espèce de racisme ordinaire qui s’installe tranquille­ment et qu’on trouve ça bien correct.

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David Morin, professeur à l’Université de Sherbrooke. - Gracieuset­é

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