LE NOUVEAU-BRUNSWICK MONTRE SON JEU
L’affaire Gérard Comeau sur le commerce interprovincial de l’alcool pourrait «mettre fin au fédéralisme canadien» comme on le connaît, selon la province du Nouveau-Brunswick.
Fredericton a déposé vendredi son mémoire devant la Cour suprême du Canada dans l’affaire de l’homme de Tracadie qui a été arrêté sur le bord de la route au Nouveau-Brunswick en 2012 pour avoir rapporté du Québec une quantité de bière et de spiritueux qui dépassait la limite permise dans la loi.
Le Nouveau-Brunswick conteste devant la plus haute cour du pays la décision du juge de première instance qui a déterminé que l’article 134 de la loi provinciale sur la réglementation des alcools était inconstitutionnel.
Selon les avocats de la province, le jugement de première instance s’est tellement écarté des conventions généralement admises que si la Cour suprême confirmait la décision, les juges «seraient alors tenus de reformuler le fédéralisme canadien tel qu’il existe maintenant».
En donnant raison à Gérald Comeau, le juge de la Cour provinciale s’est inspiré de l’article 121 de la loi constitutionnelle de 1867 qui stipule que les marchandises en provenance d’une province canadienne ne devraient pas faire l’objet de tarifs dans les autres provinces.
D’après les avocats du NouveauBrunswick, le juge y est allé d’une interprétation beaucoup trop littérale de l’article 121 sans accorder suffisamment d’égard à la jurisprudence et aux principes généraux du fédéralisme comme la division des pouvoirs entre Ottawa et les provinces.
«La jurisprudence nous dit qu’une interprétation littérale de la constitution doit généralement être évitée», écrivent les juristes dans leur mémoire d’une cinquantaine de pages.
L’interprétation «stricte» mise de l’avant par le juge restreint notamment de façon dramatique les pouvoirs des gouvernements démocratiquement élus, ajoutent-ils.
«Cette erreur revêt une importance intrinsèque pour le fonctionnement du système politique canadien.»
Le juge de la Cour provinciale dans l’affaire Comeau aurait plutôt dû faire preuve de «latitude» et de «flexibilité» dans son analyse de la loi constitutionnelle, suggèrent les avocats.
À leur avis, l’article 121 ne devrait pas empêcher les provinces d’avoir recours à un monopole d’État pour réglementer la vente de l’alcool sur leur territoire.
Les avocats mentionnent brièvement dans leur mémoire que ce monopole permet à la province de «récolter des revenus», sans s’étendre sur les conséquences financières possibles du dossier.
Selon le rapport annuel d’Alcool NB, la société de la Couronne a versé 160,8 millions $ à la province en 20152016.
Lors du procès de première instance, le vice-président d’Alcool NB de l’époque, Richard Smith, a admis que l’élimination de la restriction sur l’importation d’alcool pourrait avoir des effets dévastateurs sur les ventes de la société de la Couronne et même mettre son modèle d’affaires en péril.
L’affaire Comeau suscite l’intérêt de plusieurs joueurs d’un océan à l’autre. Les médias nationaux en ont notamment abondamment parlé.
Toutes les provinces et les territoires ont l’intention d’intervenir lors des procédures judiciaires à l’exception du Manitoba et du Yukon.
Ottawa et les provinces et les territoires ont jusqu’au 13 octobre pour déposer leur mémoire devant la Cour suprême. Les avocats de Gérard Comeau devront en faire autant avant le 27 octobre. La première audience devant les juges est prévue le 6 décembre.