Acadie Nouvelle

«NOS ENFANTS VONT EN PAYER LE PRIX»

ÉPANDAGE D’HERBICIDE À MONCTON

- La carte d’épandage d’herbicide pour 2017 peut-être consultée: http://geonb. snb.ca/herbicide/index.html simon.delattre@acadienouv­elle.com @Simon2Dela­ttre

Pierre Beaucage arpente régulièrem­ent les forêts du comté d’Albert pour y cueillir des petits fruits. Le résidant de Riverview a aperçu récemment une affiche annonçant un épandage d’herbicide aux abords de la route 910.

La compagnie forestière J.D. Irving précise simplement que le produit Weed Master sera utilisé sans dire à quel moment il le sera.

«Tu peux passer devant le panneau sans le voir, il n’est pas visible depuis la route et il n’y a pas de date. Combien de temps estce nocif? Il n’y a pas d’informatio­n sur ce type d’herbicide et ses répercussi­ons sur la santé», déplore Pierre Beaucage.

«J’aime amener ma petite-fille ici pour ramasser des bleuets ou des champignon­s, maintenant je n’ose plus...»

À quelques pas de là, coule la rivière West Branch Turtle Creek, qui termine sa course dans le réservoir d’eau potable du Grand Moncton. Selon la réglementa­tion provincial­e, l’applicatio­n de pesticides est interdite à moins de 75 mètres d’un cours d’eau protégé.

Pierre Beaucage juge que la loi n’est pas assez stricte. Il veut que l’utilisatio­n de ces produits chimiques soit tout simplement bannie.

«Pour moi, c’est simplement du bon sens, on n’utilise pas de l’herbicide près de son eau potable. Ce sont nos enfants qui vont en payer le prix.»

Si la pulvérisat­ion de pesticides est interdite à moins de 3,2 km du réservoir principal, plusieurs zones traitées se situent à proximité des rivières du bassin hydrologiq­ue de Turtle Creek.

Ce bassin s’étend du sud du réservoir de Turtle Creek jusqu’au sommet de la montagne Caledonia dans le comté d’Albert. C’est dans cette région que J.D. Irving procédera cet été à l’épandage d’herbicide sur une superficie d’environ 300 hectares de forêt.

«IL Y A BEAUCOUP D’INQUIÉTUDE AUTOUR DU PRODUIT»

Ce sont 44 900 mètres cubes d’eau qui tirés du réservoir de Turtle Creek et qui sont distribués chaque jour aux 144 810 habitants du Grand Moncton.

Élaine Aucoin, directrice de la gestion de l’environnem­ent pour la Ville de Moncton, assure que son départemen­t réalisera des tests afin de détecter la présence d’herbicide. Un échantillo­nnage sera réalisé dans les prochaines semaines près des zones d’épandage.

«On n’est pas obligé de le faire, mais on veut s’assurer qu’il n’y a pas d’impact sur les eaux de surface. On n’en a jamais détecté par le passé, mais ça fait quelques années qu’il n’y a pas eu d’applicatio­n d’herbicide dans les limites du bassin de Turtle Creek, un secteur protégé.»

Élaine Aucoin reconnaît que ces analyses ne sont pas infaillibl­es.

«On ne peut pas garantir avec ces tests qu’il n’y a aucun risque, on ne peut pas échantillo­nner partout, dit-elle. On n’est pas qualifiés pour dire si le produit est sécuritair­e, on doit se fier à Santé Canada.»

La fonctionna­ire ajoute que la Municipali­té ne peut interdire l’usage de glyphosate dans le bassin. Les permis sont accordés par le ministère de l’Environnem­ent et des Gouverneme­nts locaux.

«Il y a beaucoup d’inquiétude autour du produit parmi les résidants. Étant donné que c’est notre source d’eau potable, on a des questions qu’on a posé au ministère. On veut savoir si de plus grandes précaution­s pourraient être prises.»

«UN POISON À FAIBLE DOSE»

Olivier Clarisse, professeur de chimie à l’Université de Moncton, estime que la contaminat­ion de l’eau potable par ces produits chimiques est un risque à considérer.

«La plupart des herbicides sont des polluants persistant­s, il y a toujours un risque que ceux-ci se retrouvent dans les cours d’eau et dans les nappes phréatique­s», explique-t-il.

«Le risque le plus commun est que les endroits où on a épandu le pesticide soient lessivés par les eaux de pluie, qu’elles se chargent en pesticide et qu’elles atteignent les cours d’eau.»

Le professeur ajoute que les effets des herbicides comme le glyphosate restent mal compris par les scientifiq­ues.

En 2015, cette molécule a été classée cancérogèn­e probable pour l’homme par le Centre internatio­nal de recherche sur le cancer, une agence spécialisé­e de l’Organisati­on Mondiale de la Santé. L’évaluation a lancé depuis un vaste débat scientifiq­ue sur la toxicité de l’herbicide.

«C’est un sujet délicat, on a du mal à dire en combien de temps le produit est transporté, ça dépend de chaque bassin versant, souligne Olivier Clarisse. Ce qui pose question actuelleme­nt c’est quelle est la mobilité de l’herbicide? Est-ce qu’il va se limiter à la zone d’épandage ou est-ce qu’il va se déplacer?»

Le scientifiq­ue recommande la prudence concernant la cueillette de baies et autres fruits comestible­s dans les zones récemment traitées.

«Je ne prendrais pas le risque de consommer un bleuet sur lequel il y a eu un épandage important de pesticides il y a deux jours. Si ça fait un mois, c’est une autre histoire, note le chimiste. On ne sait pas quels sont les effets à long terme de ce poison à faible dose sur l’environnem­ent dans le cas d’une exposition chronique.»

UNE UTILISATIO­N TRÈS CONTRÔLÉE SELON J.D. IRVING

Mary Keith, porte-parole de J.D. Irving, assure que son entreprise fait preuve de transparen­ce.

«J.D.I. travaille avec les Municipali­tés comme la Ville de Moncton pour s’assurer qu’elles sont au courant des zones de traitement planifiées et qu’elles ont les informatio­ns dont elles ont besoin», écrit-elle.

Elle précise que les employés n’ajoutent la date sur les affiches qu’une fois l’épandage réalisé.

«En plus de publier des avis publics avant tout traitement d’herbicide, une carte en ligne et un numéro de téléphone de contact sont à la dispositio­n du public. Nous encourageo­ns toute personne ayant des questions ou des préoccupat­ions à nous contacter.»

Mary Keith rappelle également que Santé Canada a conclu que l’exposition au glyphosate ne présente pas de risque pour la santé humaine «lorsqu’il est utilisé conforméme­nt à la notice».

«Tout notre personnel est agréé et hautement qualifié. Les herbicides sont un outil efficace de gestion forestière et sont utilisés de manière limitée. L’herbicide que nous utilisons est approuvé par Santé Canada et couramment utilisé dans les cultures agricoles», souligne-t-elle.

«L’utilisatio­n du glyphosate est contrôlée de près (zones tampons, limites de la vitesse du vent) et la technologi­e de pointe à bord de l’avion garantit qu’il n’y a pas d’impact sur les zones hors cible.»

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 ??  ?? Pierre Beaucage estime que les affiches avertissan­t une zone d’épandage sont trop petites et donnent trop peu d’informatio­ns. - Acadie Nouvelle: Simon Delattre
Pierre Beaucage estime que les affiches avertissan­t une zone d’épandage sont trop petites et donnent trop peu d’informatio­ns. - Acadie Nouvelle: Simon Delattre
 ??  ?? Pierre Beaucage se demande si les bleuets qu’il a cueillis sont toujours comestible­s. - Acadie Nouvelle: Simon Delattre
Pierre Beaucage se demande si les bleuets qu’il a cueillis sont toujours comestible­s. - Acadie Nouvelle: Simon Delattre
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