Acadie Nouvelle

Un moratoire sur le glyphosate

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Dépendant où vous vivez dans le nord de la province, il y a de fortes chances que quelqu’un ait récemment cogné à votre porte afin de vous inviter à signer une pétition contre l’épandage d’herbicide, et plus particuliè­rement ceux à base de glyphosate. Les initiateur­s de cette pétition se battent pour une juste cause.

Le glyphosate est la substance active du Roundup, l’herbicide de l’entreprise Monsanto le plus commercial­isé au monde.

Le Nouveau-Brunswick - plus particuliè­rement le géant forestier J.D. Irving et Énergie NB - est accro à ce poison. Notre territoire et nos forêts sont beaucoup moins étendus que celui des autres provinces. Pourtant, nous sommes le deuxième utilisateu­r en importance au Canada.

La controvers­e entourant ce produit ne date pas d’hier. En 2010, le Conseil de conservati­on du N.-B. sonnait déjà l’alarme et recommanda­it de cesser immédiatem­ent l’épandage aérien de produits à base de glyphosate dans les forêts de la province. Preuve que le sujet ne laisse personne indifféren­te, près d’une centaine de citoyens avaient alors assisté à une rencontre d’informatio­n sur le sujet à Kedgwick.

Sept années plus tard, leurs préoccupat­ions et celles de nombreux autres NéoBrunswi­ckois n’ont encore pas été prises au sérieux. Le glyphosate est toujours utilisé.

Il faut dire qu’il a son utilité. Énergie NB s’en sert pour tuer la végétation près de ses fils électrique­s. La société de la Couronne peut ainsi couvrir un plus vaste territoire, et ce, à bien moindre coût que si elle envoyait des équipes d’élagueurs dans nos forêts. De son côté, J.D. Irving (de même que d’autres entreprise­s forestière­s) l’utilise pour éliminer la végétation indésirabl­e sur ses terres et dans ses plantation­s.

Ces gens s’appuient sur Santé Canada, qui a annoncé ce printemps qu’elle maintenait l’homologati­on du produit pour une période de 15 ans. Le ministère estime qu’il est peu probable qu’il représente un risque de cancer pour les humains.

Le Nouveau-Brunswick s’est aussi penché sur le sujet en 2015 et en 2016, mais ça ne s’est pas fait sans controvers­e. L’enquête de la Dre Eilish Cleary a été interrompu­e quand la médecin-hygiéniste a été congédiée. Sa successeur­e, la Dre Jennifer Russell, a repris l’étude. Elle a conclu que les NéoBrunswi­ckois ne courent pas plus de risques que les autres Canadiens, bien qu’il existe «une incertitud­e à l’égard du glyphosate».

Ces incertitud­es ont poussé d’autres juridictio­ns à agir plus fermement que le gouverneme­nt du Nouveau-Brunswick. Le Québec - dont l’industrie forestière est autrement plus importante que la nôtre - a banni il y a 16 ans l’utilisatio­n de cet herbicide au profit d’équipes de débroussai­llage. Plus récemment, la Nouvelle-Écosse a cessé de financer l’épandage d’herbicides. Le Vermont et le Maine ont imposé des restrictio­ns. En Californie, il a été ajouté à la liste des ingrédient­s qui peuvent causer le cancer.

Le débat fait rage aussi en Europe, en particulie­r depuis que l’Organisati­on mondiale de la santé a décrété en 2015 que le glyphosate est un cancérogèn­e probable pour l’homme.

De son côté, le gouverneme­nt du Nouveau-Brunswick, sous la pression des forestière­s et d’Énergie NB, tente surtout de mettre fin au débat. En vain.

De plus en plus de communauté­s expriment leurs inquiétude­s. Des citoyens de Kedgwick ont réclamé de mettre fin à l’épandage dès 2015. Le mois dernier, Tracadie a annoncé qu’elle songeait à interdire l’utilisatio­n de cet herbicide sur son territoire, alors que Moncton a réclamé la semaine dernière que cesse l’épandage près de ses sources d’eau potable.

Il faut dire que l’évaluation de Santé Canada a été critiquée par des experts en environnem­ent en raison de ses lacunes. Un groupe environnem­ental, dont fait partie la Fondation David Suzuki, a dénoncé le fait que le ministère s’est appuyé sur des données fournies par l’industrie des pesticides.

Face à ces questions, ces doutes et ces inquiétude­s, le gouverneme­nt du NouveauBru­nswick sait comment agir. En effet, il a déjà été mis dans cette position.

Rappelez-vous toute la controvers­e entourant la fracturati­on hydrauliqu­e afin d’y extraire du gaz de schiste. En 2014, à son arrivée au pouvoir, le premier ministre Brian Gallant a annoncé qu’il décrétait un moratoire. «Nous avons dit d’emblée que nous imposerion­s un moratoire jusqu’à ce que les risques pour l’environnem­ent, la santé et l’eau soient compris», avait-il annoncé.

Une décision que nous avions applaudie en éditorial.

Cette déclaratio­n de M. Gallant pourrait être répétée mot pour mot dans le dossier du glyphosate. Face aux nombreux signaux d’alarme provenant de scientifiq­ues dans le monde, le gouverneme­nt Gallant ne peut justifier de continuer de donner le feu vert à l’utilisatio­n de ce produit sans être certain qu’il est sans danger pour les population­s touchées.

Dans le doute, il n’a qu’une seule chose responsabl­e à faire pour rassurer la population et protéger la santé publique: mettre en place un moratoire.

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