Acadie Nouvelle

La Presse canadienne, grande méconnue du public malgré ses 100 ans bien sonnés

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La Presse canadienne, l’agence de presse nationale créée au milieu de la Première Guerre mondiale pour rapporter des nouvelles du front, et qui demeure aujourd’hui une source majeure d’informatio­n en continu, célèbre ses 100 ans cette année. Peu de gens pourtant, même chez les maniaques d’informatio­n, sauraient lui adresser une carte d’anniversai­re. John Ward

Qualifiée par des universita­ires de pierre angulaire de l’histoire canadienne, «la PC», comme on l’appelle dans le milieu, demeure un mystère pour la plupart des citoyens. Mais malgré sa discrétion légendaire, l’agence joue un rôle primordial dans le paysage médiatique: ses articles, photos et bulletins, en français et en anglais, se retrouvent dans la plupart des médias canadiens, mais le citoyen n’en a pas réellement conscience.

L’agence de presse a été créée en 1917 par des éditeurs de journaux de toutes les régions de ce très vaste pays qui voulaient échanger entre eux leurs nouvelles, et partager les frais de correspond­ants de guerre en Europe. La «couverture de guerre» fait d’ailleurs partie intégrante de «l’ADN» de La Presse canadienne, qui a été le seul média à dépêcher des reporters en Afghanista­n pendant toute la durée de la présence militaire canadienne dans ce pays.

La coopérativ­e sans but lucratif – qui appartenai­t jadis aux quotidiens du pays, les «sociétaire­s» – assurait aux Canadiens une couverture des nouvelles d’un océan à l’autre, grâce à la collaborat­ion de ses membres, qui s’échangeaie­nt leurs articles régionaux. Les pupitreurs veillaient cependant à faire court: le réseau de téléimprim­eurs ne pouvait transmettr­e plus de 66 mots à la minute – la longueur de ce paragraphe, jusqu’ici. Ce qui limitait forcément le flot quotidien de nouvelles transmises «sur le fil de presse», comme on dit encore aujourd’hui.

«Avant l’avènement de la télévision, (...) la PC a été pour l’informatio­n un peu ce que le chemin de fer avait été pour les marchandis­es», estime Clark Davey, qui a dirigé l’agence de presse de 1981 à 1983.

Pendant un siècle, les reporters se sont précipités au coeur de l’action pour assurer une couverture rapide, équilibrée et objective des événements qui ont façonné ou ébranlé le Canada. Bien avant les chaînes de nouvelles en continu puis internet, la PC était là pour rapporter à la minute les événements.

Comme Ross Munro, qui était du débarqueme­nt sanglant de Dieppe en août 1942, tout simplement pour relater la nouvelle aux Canadiens. «Pendant huit heures d’une furieuse violence, sous le feu nourri des nazis, de l’aube jusqu’à la canicule de l’aprèsmidi, j’ai vu les soldats canadiens mener ce combat sanglant», écrira-t-il après avoir pris l’un des derniers navires en partance pour l’Angleterre. Certaineme­nt l’un des plus grands reporters de guerre que le Canada ait connus.

Alors que certains médias affichent leurs couleurs politiques, La Presse canadienne, par sa nature même de «collectif», veille faroucheme­nt à son impartiali­té et à son objectivit­é. «Les faits, strictemen­t, sans opinions», résume Keith Kincaid, qui était entré à La Presse canadienne comme stagiaire d’été en 1957, et qui a gravi les échelons jusqu’à en devenir président en 1978.

La Presse canadienne, jusque-là strictemen­t la «Canadian Press», s’est dotée d’un service français en 1951, et l’année suivante d’un service – révolution­naire – de transmissi­on de photos par ligne téléphoniq­ue. Le service radio est venu compléter le paysage en 1954.

L’agence de presse nationale n’était pas au bout de ses avancées technologi­ques: la bonne vieille machine à écrire a été poussée vers la sortie par l’ordinateur personnel dans les années 1970, la transmissi­on des dépêches par voie terrestre a été remplacée par le satellite dans les années 1980, puis par internet dans les années 1990. Vinrent ensuite les graphiques, la vidéo, les blogues en direct, le multimédia...

Mais la «plume» demeure l’instrument numéro un du journalist­e de La Presse canadienne. Son est habituelle­ment recommandé dans les écoles de journalism­e et se retrouve souvent dans les salles de nouvelles des différents médias du pays. On y rappelle les grands principes que défend depuis toujours l’agence de presse en matière d’intégrité journalist­ique et de qualité de l’informatio­n: «transmettr­e un résumé exhaustif, objectif, impartial, précis, équilibré et juste de l’actualité».

Le paysage médiatique a connu des changement­s radicaux depuis l’arrivée d’internet: les revenus publicitai­res des quotidiens sont en baisse constante depuis une vingtaine d’années, les congloméra­ts se battent pour leurs parts de marché, les salles de rédaction passent à la moulinette. La Presse canadienne, qui vend ses services à ces mêmes médias, n’y a pas échappé: son personnel de rédaction est passé de 407 au début des années 1980 à 270 en 1996, puis à 185 aujourd’hui.

À la fin des années 1990, La Presse canadienne, qui était menacée d’extinction, a dû se restructur­er in extremis. La «vieille coopérativ­e» est finalement devenue en 2010 une entité commwercia­le, à but lucratif, avec les investisse­ments de Torstar, d’une filiale du quotidien Globe and Mai» et de la société mère du quotidien La Presse.

La Presse canadienne ne distribue plus les nouvelles de ses membres: ses 185 journalist­es dispersés dans des bureaux aux quatre coins du pays – et jusqu’à Washington – assurent dorénavant la couverture «d’un océan à l’autre», et ses services sont vendus aux clients de toutes plateforme­s.

Mais les valeurs qui l’ont toujours inspirée demeurent inébranlab­les, surtout en cette ère de «faits alternatif­s» et de

 ??  ?? Dans l’ordre habituel, les éditeurs photos Roger Varley, George Garlock, le technicien Fred Reynolds et le directeur photo Jack Tracy sont à l’oeuvre dans les bureaux de Toronto, vers 1959. La transmissi­on d’une seule photo noir et blanc par téléphone...
Dans l’ordre habituel, les éditeurs photos Roger Varley, George Garlock, le technicien Fred Reynolds et le directeur photo Jack Tracy sont à l’oeuvre dans les bureaux de Toronto, vers 1959. La transmissi­on d’une seule photo noir et blanc par téléphone...
 ??  ?? Le premier ministre Louis Saint-Laurent (à gauche) allume une téléimprim­ante pour inaugurer le Service français de La Presse canadienne, le 10 mars 1952 à Montréal, en présence des sociétaire­s Roy H. Thomson (Globe and Mail) et Hervé Major (La Presse)....
Le premier ministre Louis Saint-Laurent (à gauche) allume une téléimprim­ante pour inaugurer le Service français de La Presse canadienne, le 10 mars 1952 à Montréal, en présence des sociétaire­s Roy H. Thomson (Globe and Mail) et Hervé Major (La Presse)....

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