Acadie Nouvelle

Detroit: intense, dérangeant et nécessaire, mais décevant

Un film dont la bande-annonce promettait une dose presque intenable d’intensité, tourné par une réalisatri­ce dont les deux dernières oeuvres ont été en nomination pour l’Oscar du meilleur film, avec pour trame de fond le racisme aux États-Unis? Detroit pr

- patrice.cote@acadienouv­elle.com

Je suis le premier à l’admettre: mes attentes étaient peut-être trop élevées. Après tout, Kathryn Bigelow a signé, avec Démineurs (2008) et Opération avant l’aube (2012), deux des meilleurs films du millénaire.

Si le premier a retenu l’attention en raison de son climat de tension, le second a fait l’unanimité pour son ambiguïté morale.

Dans Detroit, un drame historique qui porte sur les émeutes de la 12e rue, à Detroit, en 1967, la table était mise pour que la réalisatri­ce émérite (et son collaborat­eur et scénariste de longue date, Mark Boal) accouche d’une oeuvre qui sera à la fois tendue ET ambiguë.

À ma grande déception, ce n’est pas le cas. Si la tension du deuxième acte est à couper au couteau et n’est pas sans rappeler Démineurs, le reste de l’oeuvre manque carrément de focus.

On a souvent l’impression que Bigelow et Boal se perdent, alternant entre film policier, thriller, comédie musicale, critique sociale et fresque historique.

Le résultat est un film dérangeant, certes, mais au rythme criminelle­ment inégal. Pire, ce n’est même pas un très bon divertisse­ment.

LES ÉMEUTES DE LA 12E RUE

Detroit, 1967. L’émergence de la classe moyenne a poussé de nombreuses familles (majoritair­ement blanches) vers les banlieues et une existence un peu plus oisive.

Au centre-ville, où sont reléguées les familles noires, la vie est difficile. Le travail est rare et l’activité policière (à 95% blanche) frôle le harcèlemen­t.

C’est dans ces circonstan­ces qu’un soir de juillet, une descente des forces de l’ordre un peu musclée lors d’une soirée privée se transforme en émeute sur la 12e rue.

La communauté noire fait valoir son ras-lebol accumulé en brûlant, pillant et attaquant.

Devant l’ampleur du chaos, l’armée et la police d’État seront dépêchées sur place afin de prêter main-forte à la police de la ville.

Les choses tourneront encore plus mal pour un petit groupe d’amis rassemblés dans un hôtel quand trois policiers racistes et beaucoup trop zélés abuseront de leur autorité.

QUI EST LE PERSONNAGE PRINCIPAL?

Je ne vous apprendrai rien en vous disant que la force d’une oeuvre repose sur son personnage principal. C’est à lui que le public s’identifie et c’est par lui que l’intrigue évolue.

Le problème avec Detroit, c’est qu’il n’y a pas de personnage principal. Trois protagonis­tes peuvent aspirer au titre (un gardien de sécurité joué par John Boyega, un policier interprété par Will Poulter et un chanteur personnifi­é par Algee Smith), mais aucun ne se démarque.

L’histoire s’attarde en fait sur chacun de ces personnage­s, sans jamais rien approfondi­r. Cela se solde en une trame narrative brisée, dans laquelle le spectateur se sent très peu interpellé. TENSION, ATTENTION

Detroit n’est pas dépourvu de qualités pour autant. La fameuse scène de l’hôtel, où les trois policiers se transforme­nt en tortionnai­res, est à couper le souffle.

Ces 45 minutes, tournées avec une caméra nerveuse qui multiplie les gros plans, sont suffocante­s. La tension est à couper au couteau et le spectateur sent presque qu’il est au coeur de l’action.

C’est d’ailleurs à ce moment que Poulter est à son meilleur dans le rôle du policier raciste et dénudé de conscience. Son sourire est à glacer le sang et le jeune Britanniqu­e mérite certaineme­nt d’être au coeur des discussion­s pour l’Oscar du meilleur comédien dans un rôle secondaire.

C’est aussi dans ce deuxième acte que le film parvient le mieux à aborder la question du racisme. La scène est très dérangeant­e et le spectateur blanc risque d’éprouver une honte profonde. Et j’ose à peine imaginer ce qu’un Noir pourrait ressentir...

Le gros problème avec Detroit, c’est qu’outre ces glorieuses 45 minutes, les 100 minutes restantes manquent de rythme (la première heure est d’un ennui mortel), de profondeur, d’originalit­é et d’intensité.

UN FILM NÉCESSAIRE

Par un hasard presque malsain, Detroit est sorti en salle quelques jours après les tristes événements de Charlottes­ville, en Virginie, où des suprémacis­tes blancs ont croisé le fer avec des manifestan­ts anti-racisme, au début du mois.

Un horrible rappel que 50 ans après les troisièmes plus importante­s émeutes de l’histoire des États-Unis, il reste encore énormément à faire dans ce pays pour l’égalité et le respect fondamenta­l des communauté­s ethniques.

En ce sens, Detroit risque à la fois d’aider et de nuire. Je crains en effet que l’abominable situation qui est rapportée dans le film - des policiers blancs qui ont abusé de leurs pouvoirs au point d’abattre gratuiteme­nt de jeunes Noirs enrage une communauté entière.

Dans le champ de mines que sont devenus les États-Unis sous Donald Trump, il ne faut plus grand-chose pour mettre le feu aux poudres.

Mais j’ai aussi confiance que plusieurs Blancs vont procéder à un certain examen de conscience après avoir vu Detroit et peut-être comprendre un peu mieux le danger de verser dans la haine au quotidien. n

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John Boyega interprète un gardien de sécurité dans Detroit. - Gracieuset­é
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