Acadie Nouvelle

Le ministre va trop loin, trop vite

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Àla base, privatiser des secteurs de notre système de santé n’est pas une hérésie en soi, quoi qu’en disent certains. L’important est que les patients sont bien soignés, bien traités et servis dans leur propre langue. C’est la priorité absolue.

Cela dit, nous avons fait, il y a plusieurs décennies, un choix de société. Nous avons choisi de nous doter d’un service de santé public, universel et gratuit. En gros, les Canadiens jugent que le gouverneme­nt est le mieux placé pour offrir des soins de santé à sa population.

Il existe de multiples exceptions à cette règle (dentistes, pharmacien­s, optométris­tes, etc). De même, le secteur privé a réussi à se faire une place dans les domaines où l’État peine à fournir à la demande. Si vous n’avez pas le goût d’attendre six mois pour une imagerie par résonance magnétique, vous avez désormais le loisir de payer autour de 1000$ dans une clinique privée afin d’être servi rapidement.

Le principe général reste toutefois le même. Le gouverneme­nt provincial est responsabl­e d’offrir les soins. Au NouveauBru­nswick, cette gouvernanc­e s’exprime par le biais de deux régies, l’une de langue française, l’autre anglaise. La population peut choisir ses représenta­nts au sein de celles-ci lors d’élections aux quatre ans.

La décision du ministre Victor Boudreau de transférer la responsabi­lité de Télé-Soins et du Programme Extra-Mural à l’entreprise Medavie vient rompre en partie ce délicat équilibre.

Cela s’est fait sans l’ombre d’un débat. Le ministre a tranché sans consultati­on digne de ce nom et malgré les préoccupat­ions légitimes du Réseau de santé Vitalité, d’Égalité santé en français et de la commissair­e aux langues officielle­s, pour ne nommer que ceux-ci.

En 2004, quand le gouverneme­nt provincial (dirigé par ce même Bernard Lord aujourd’hui à la tête de Medavie) a brièvement songé à mettre sur pied un régime public d’assurance-automobile, il a d’abord demandé à l’ex-chef du NPD, Elizabeth Weir, de pondre un rapport sur le sujet. En 2008, quand Shawn Graham a voulu transforme­r notre système d’éducation postsecond­aire, il a mis sur pied une commission et lancé un débat.

Mais pour un changement aussi fondamenta­l que le transfert au privé de la gestion de programmes médicaux, le gouverneme­nt Gallant n’a semble-t-il que faire de l’opinion des profession­nels de la santé et des patients.

Fredericto­n a déjà privatisé ou confié à des agences des services non médicaux, comme les buanderies. Il a aussi annoncé vouloir faire de même avec l’entretien ménager et les cafétérias. Sauf que cette fois, il vise des services médicaux en bonne et due forme. Des infirmière­s, des ergothérap­eutes, des orthophoni­stes ainsi que plusieurs autres profession­nels de la santé travailler­ont désormais sous l’égide de Medavie.

Ne faisons pas l’erreur de sous-estimer l’importance de cette annonce. Les conséquenc­es sont nombreuses.

D’abord, il s’agit d’une attaque contre les réseaux de santé qui offrent ces services. Le ministre Victor Boudreau n’a pas caché sa faible opinion à leur endroit. Il croit en effet que la réforme rendra les soins primaires plus accessible­s, plus efficaces et améliorera la collaborat­ion.

En clair, il n’a aucune confiance en Vitalité et en Horizon pour atteindre ces objectifs louables.

Côté langues officielle­s, tant Victor Boudreau que Bernard Lord se font rassurants. Rien ne changera, nous dit-on. L’ennui est que Medavie gère déjà Ambulance NB. Après 10 ans de promesses et d’excuses, les problèmes liés à l’offre de service en français continuent de se multiplier, sans que cela ne semble préoccuper outre mesure le gouverneme­nt provincial.

Autre préoccupat­ion majeure: la gouvernanc­e. Sous le leadership du ministre Boudreau, de plus en plus de pans du système de la santé échappent ou sont sur le point d’échapper aux régies de la santé.

Le problème n’est pas que théorique. La communauté francophon­e du N.-B. a arraché de haute lutte un droit de gestion sur ses institutio­ns en santé. Il est à se demander si le ministre Boudreau, qui a connu sa part de conflits avec le Réseau de santé Vitalité (pensons au congédieme­nt de l’ancien PDG Rino Volpé), ne tente pas de la transforme­r en une coquille vide. Quelle sera la prochaine étape? Confiera-t-il un jour la gestion des salles d’urgence à Medavie? Ou même celle de nos hôpitaux?

Les enjeux sont importants. Pourtant, le gouverneme­nt Gallant agit comme s’il ne s’agissait que d’un simple changement administra­tif mineur.

Victor Boudreau n’a pas le mandat d’aller aussi loin. Jamais, au cours de la dernière campagne électorale, il a exprimé son intention d’arracher aux réseaux Vitalité et Horizon d’aussi importante­s responsabi­lités afin de les confier au secteur privé.

Le ministre n’a pas la légitimité de faire l’économie d’un débat. Il doit prendre acte des inquiétude­s des communauté­s médicale et acadienne et mettre sa réforme sur la glace.

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