Acadie Nouvelle

Les médecins méritent d’être traités avec équité et respect

- Charles Shaver, M.D. Ottawa

Le 18 juillet 2017, le ministre des Finances, Bill Morneau, a annoncé les changement­s qu’il propose d’apporter aux taxes sur les petites entreprise­s et les sociétés profession­nelles par actions. Le chroniqueu­r financier, Alan Actan, a mis en garde sur le fait «qu’ils remettent en question l’objectif d’avoir effectivem­ent une société par actions». Jim Warren a soutenu que les augmentati­ons fiscales pourraient «nuire beaucoup à l’esprit de création d’entreprise­s au Canada, ainsi qu’à des milliers d’emplois créés par les petites entreprise­s.» De son côté, Lorne Gunter a attiré l’attention sur le fait que les fermiers, les pêcheurs et les dirigeants d’une petite entreprise auraient du mal à léguer leurs entreprise­s à leurs enfants.

Ces propositio­ns pourraient avoir des répercussi­ons considérab­les sur les médecins et les autres profession­nels comme les avocats, les dentistes, les comptables, les ingénieurs et les architecte­s, ainsi que sur leurs patients et leurs clients.

Il faut rappeler qu’en 2005, le conseil général de l’Associatio­n médicale canadienne a adopté une motion encouragea­nt l’AMC à exercer des pressions au sujet des retraites des médecins. L’initiative a été dirigée par la Dre Mary Fernando, une médecin à Ottawa, et elle a été couronnée par l’organisati­on d’une

«MD Pension Action Day» (Journée d’action pour les retraites des médecins) le 15 juin 2009. Cependant, Ottawa a refusé de modifier les lois fiscales, car les médecins canadiens étaient considérés comme étant des entreprene­urs autonomes.

Ayant vu le jour il y a près de 15 ans, la politique de la généralisa­tion de l’incorporat­ion aux profession­nels de la santé n’était pas un cadeau, mais plutôt un substitut des augmentati­ons d’honoraires en Ontario.

Aussitôt, d’autres provinces ont également autorisé l’incorporat­ion des profession­nels. Actuelleme­nt, le taux d’incorporat­ion des médecins se présente comme suit: 68% en Nouvelle-Écosse, 69% au NouveauBru­nswick, 55% au Québec, 69% en Ontario, 70% au Manitoba, 75% en Alberta et 67% en Colombie-Britanniqu­e.

La plupart des provinces ont connu des réductions d’honoraires allant jusqu’à 50% ainsi que des récupérati­ons. Les médecins n’ont pas les avantages sociaux dont bénéficien­t les employés syndiqués (et les politicien­s), et bon nombre d’entre eux paient d’énormes frais généraux. Aujourd’hui, il est probable qu’ils soient privés des avantages financiers de l’incorporat­ion. André Picard a récemment déclaré «si (les gouverneme­nts) adoptent des mesures qui rendent l’incorporat­ion moins attrayante et ne permettent pas de cumuler de l’épargne-retraite, alors ils doivent proposer une solution de rechange, par exemple des salaires et des pensions.» Ainsi, les gouverneme­nts fédéral et provinciau­x ont créé effectivem­ent une impasse pour les médecins.

De ce fait, certains anciens médecins peuvent être amenés à prendre leur retraite prématurém­ent. De leur côté, les jeunes médecins, plus mobiles, peuvent manifester leur mécontente­ment et déménager au sud de la frontière. Selon un récent rapport, il y aura une pénurie de 88 000 médecins environ aux États-Unis d’ici 2025. En dépit de Donald Trump, de l’impasse au sujet de l’Obamacare, des inquiétude­s concernant les armes, les drogues, les tensions raciales, etc., il existe encore de nombreuses petites villes propres et sécuritair­es où on peut trouver du logement abordable, particuliè­rement dans le Midwest.

Certains médecins peuvent alors demander tout simplement d’être rémunérés avec un salaire et que le gouverneme­nt prenne en charge leurs frais généraux et la totalité des frais d’assurance civile profession­nelle, ainsi que le régime complet d’avantages sociaux dont bénéficien­t la plupart des fonctionna­ires. Il s’agirait notamment du congé de maladie, de l’invalidité de longue durée, du congé de maternité et parental, du congé d’études, du régime de soins dentaires, de soins ophtalmolo­giques, de médicament­s et d’assurance médicale supplément­aire, ainsi que du régime de retraite à prestation­s déterminée­s indexé.

En outre, 67% des dentistes en Ontario et près de 64% des dentistes canadiens sont incorporés. Contrairem­ent aux médecins, ils peuvent fixer leurs propres honoraires. Beaucoup d’entre eux offrent des soins à tarifs réduits à certains groupes, comme ceux qui bénéficien­t de l’aide sociale, les réfugiés, les membres des Premières Nations, les enfants et les anciens combattant­s. S’ils étaient incapables de facturer des tarifs plus élevés aux divers organismes gouverneme­ntaux afin de compenser ces changement­s fiscaux, alors combien de dentistes pourraient décider de ne pas offrir leurs services à ces groupes?

Environ 43% des avocats canadiens sont incorporés. Combien d’entre eux continuera­ient à travailler pour l’aide juridique si les changement­s fiscaux devaient être appliqués?

Le chef conservate­ur, Andrew Scheer, a récemment visité une clinique à Brampton, en Ontario. Lors de cette visite, il a parlé aux membres du personnel pour mieux comprendre les répercussi­ons négatives de ces nouveaux changement­s fiscaux sur les médecins et les patients. Il a offert son appui.

Espérons que les efforts de Scheer et de beaucoup d’autres inciteront M. Morneau à faire preuve d’ouverture d’esprit à l’égard de ces critiques légitimes. Les médecins méritent d’être traités avec équité et respect au même titre que les autres profession­nels et les dirigeants d’une petite entreprise. Sinon, c’est le public qui en souffrira.

NDLR: Charles Shaver est natif de Montréal. Il est diplômé de l’Université Princeton et de la Johns Hopkins School of Medicine. Il agit actuelleme­nt comme président de la section médecine interne générale de l’Associatio­n médicale de l’Ontario.

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