Acadie Nouvelle

Un discours trompeur pour augmenter les impôts

ANDRÉ PAULIN (CPA CA) Tracadie Associé en fiscalité chez Benoit, McGraw & Paulin

-

Bill Morneau, ministre des Finances, je dois avouer que depuis le 18 juillet, je suis très déçu de la direction que le Parti libéral du Canada a prise; taxer les entreprene­urs au lieu de se pencher sur le vrai problème, soit la gestion des dépenses publiques.

En plus, le discours politique qui est utilisé pour présenter à la population sa réforme fiscale est trompeur. Le gouverneme­nt affirme qu’il veut éliminer certains

tax loopholes, des échappatoi­res fiscales qui sont utilisées par les Canadiens les plus riches. Ces soi-disant tax loopholes sont en effet des politiques fiscales en place depuis plusieurs décennies qui ont été étudiées et appuyées par plusieurs gouverneme­nts précédents, car elles incitent les investisse­ments et la croissance des entreprise­s canadienne­s.

J’ai révisé attentivem­ent votre document et contrairem­ent à ce que vous affirmez, voici un résumé des mesures que vous tenter d’imposer à tous les entreprene­urs du Canada: imposer à un taux effectif de plus de 50% sur les revenus versés à leurs enfants de moins de 24 ans, imposer à un taux effectif de plus de 50% les revenus versés à leur conjoint, imposer leur succession sur la valeur de l’entreprise à un taux qui pourrait varier de 73% à 93%, imposer à plus de 50 % les profits conservés dans leur société ou imposer le revenu de placement à un taux effectif de plus de 60% (ce qui va affecter négativeme­nt plusieurs entreprene­urs déjà à la retraite)

En d’autres mots, vous affirmez que les entreprene­urs doivent payer des impôts comme s’ils étaient des employés, et ce, même s’ils n’ont pas de vacances payées, qu’ils n’ont pas de journées de maladie payées, pas d’assurance-emploi ou de congé parental, pas d’assurances maladie, de vie, de médicament­s et ils n’ont pas de fonds de pension. Malgré ça, ils créent de l’emploi, ils risquent leurs actifs personnels pour leur entreprise et ils ne comptent probableme­nt pas le nombre d’heures qu’ils travaillen­t par semaine.

Avec un taux de succès de 51%, quel incitatif restera-t-il de se lancer en affaire?

Votre discours a-t-il comme objectif de faire passer votre réforme sans nuire à votre popularité ou êtes-vous tout simplement mal informé? En présumant que le gouverneme­nt sait ce qu’il fait, votre discours semble être une tactique politique pour faire accepter par le grand public une réforme fiscale qui va complèteme­nt changer l’environnem­ent fiscal des entreprene­urs et par conséquent entraîner des pertes d’emploi, l’augmentati­on du coût de certains produits et services, la perte de profession­nels qualifiés et d’entreprene­urs acharnés qui iront aux États-Unis et ainsi de suite.

L’exemple que vous utilisez pour justifier votre réforme compare un employé et un entreprene­ur qui gagnent chacun 220 000$ (moins de 2,5% des Canadiens). Un grand nombre de vos propositio­ns qui vont s’appliquer à tous les entreprene­urs sont basées sur cet exemple. Votre gouverneme­nt propose donc des mesures qui vont potentiell­ement augmenter les impôts de tous les entreprene­urs pour «attraper» 2,5 % des Canadiens! Bravo! Aucune explicatio­n n’est donnée concernant les impacts sur l’économie de ces sorties de fonds de nos sociétés canadienne­s. Comment ceci va-t-il supposémen­t bénéficier à la classe moyenne ?

De plus, votre exemple n’accorde aucune valeur aux avantages sociaux, pensions, journées de maladie, vacances dont les employés bénéficien­t comparativ­ement à l’entreprene­ur. En calculant ceux-ci, vous réaliserez qu’il faudrait plutôt réduire le taux d’impôt s’appliquant aux entreprene­urs si vous voulez être «juste».

Les individus ont généraleme­nt tous les mêmes objectifs financiers, premièreme­nt avoir des fonds pour vivre et en épargner pour assurer leurs vieux jours. Qu’arrive-t-il si le taux d’impôt est augmenté significat­ivement, soit en empêchant de fractionne­r le revenu avec les membres de la famille ou en privant les économies pour la retraite?

Il reste moins d’argent dans les sociétés. Pour atteindre leurs objectifs, les entreprene­urs vont soit ajuster leurs dépenses (réduction de salaires de leurs employés, réduction des investisse­ments), réduire leur style de vie (réduction de la consommati­on qui engendrera des pertes d’emplois) ou augmenter les coûts de leurs produits et services. Avez-vous pensé qu’il faudra aussi s’attendre à une augmentati­on de la fraude et du marché noir ainsi qu’une perte de profession­nels et d’entreprene­urs vers les États-Unis? Seriez-vous en train de dire à la population que votre gouverneme­nt fera meilleur usage des fonds que vous allez soutirer à nos entreprene­urs? Que votre gouverneme­nt sera plus productif avec ces fonds que nos entreprene­urs?

Je trouve ça ironique que vous avez indiqué dans votre discours que les modificati­ons fiscales que vous proposez s’appliquent à moins de 15% des Canadiens et qu’ils n’aident aucunement la classe moyenne et que votre gouverneme­nt désire un système fiscal équitable pour tout le monde. Tel que mentionné ci-dessus, je travaille tous les jours, depuis 20 ans, avec des entreprene­urs et je peux vous assurer que votre réforme s’attaque directemen­t à un très grand nombre d’individus de la classe moyenne. Contrairem­ent à ce que votre document semble présumer, ce ne sont pas la majorité des entreprise­s qui sont riches, la majorité d’entre elles est détenue par des membres de la classe moyenne.

Un autre élément assez intéressan­t dans votre document est qu’il ne mentionne pas les avantages fiscaux que l’employé peut avoir. Est-ce parce que ceux-ci s’appliquent à vous et aux fonctionna­ires qui ont rédigé le projet de loi?

Voici quelques avantages fiscaux dont vous bénéficiez et que les entreprene­urs n’ont pas. Dès qu’un retraité de la fonction publique reçoit sa pension, il peut fractionne­r celle-ci avec son conjoint tandis que les autres contribuab­les doivent attendre à 65 ans. La partie que le gouverneme­nt injecte dans la pension de son employé n’apparaît pas dans son revenu net à la ligne 150 et s’il doit payer une pension alimentair­e, cette somme est exclue du calcul. Les autres contribuab­les doivent payer une pension alimentair­e sur 100% des sommes qu’ils investisse­nt pour leur retraite. Qu’arrive-t-il quand le marché boursier baisse? Pour un fonctionna­ire, rien du tout, le gouverneme­nt injecte des fonds dans le fonds de pension, pour les autres…ils ont moins d’argent. Pourquoi ces avantages ne sont-ils pas ciblés dans vos propositio­ns? Pourquoi n’appliquezv­ous pas un impôt spécial pour faire en sorte que l’employé ne bénéficie pas de plus de fonds que l’entreprene­ur?

Finalement, je ne propose pas ici de vous attaquer aux conditions dont bénéficien­t les fonctionna­ires, mon but est plutôt de vous faire réaliser que chaque médaille a deux côtés.

La vie et la réalité d’un employé sont très différente­s de celles d’un entreprene­ur et c’est la raison pour laquelle l’imposition des entreprene­urs est aussi très différente. La tonalité utilisée dans votre document est très offensive pour les entreprene­urs et semble avoir été préparée par un groupe qui regarde uniquement les avantages des uns et oublie de regarder les risques que ceux-ci ont pris. Un groupe qui a oublié de regarder ses propres avantages et de les quantifier avant d’attaquer nos entreprene­urs et nous lancer ces modificati­ons en plein milieu de l’été avec une période de consultati­on ridicule de 75 jours.

Je vous demande de regarder attentivem­ent toutes les publicatio­ns qui ont été écrites sur le sujet et d’évaluer les implicatio­ns sur l’économie canadienne avant d’adopter ces propositio­ns.

 ??  ?? Le ministre fédéral des Finances, Bill Morneau. - Archives
Le ministre fédéral des Finances, Bill Morneau. - Archives

Newspapers in French

Newspapers from Canada