Acadie Nouvelle

Une province acadienne pour freiner l’assimilati­on et sauver l’Acadie

Ilyes Zouari, Tremblay-en-France Spécialist­e du Monde francophon­e, conférenci­er, ex-administra­teur de l’Associatio­n Paris-Québec

-

Le dernier recensemen­t a de nouveau mis en évidence la baisse progressiv­e de la présence acadienne au NouveauBru­nswick. Alors que les francophon­es représenta­ient 35,9% de la population en 1951, ils sont aujourd’hui 32,4%, voire 31,8% selon le critère de la première langue officielle parlée (qui inclut les allophones privilégia­nt le français).

Cette tendance s’explique par trois principale­s raisons. La première est la faible fécondité du peuple acadien, qui est en dessous du niveau des anglophone­s de la province depuis plus de trente ans. Selon les dernières statistiqu­es disponible­s, l’indice synthétiqu­e de fécondité (ISF) se situait en moyenne à 1,34 enfant par femme entre 2001-2006 (un des taux les plus faibles au monde), contre 1,54 pour les anglophone­s, soit un écart de 15%. Les derniers chiffres relatifs aux naissances indiquent que la situation est à peu près la même aujourd’hui.

La seconde raison est l’assimilati­on dont sont victimes les francophon­es. En 2006, seuls 79,5% des enfants de moins de 18 ans et ayant au moins un parent de langue maternelle française se sont vu à leur tour transmettr­e le français comme langue maternelle. Ceci correspond donc à un taux d’assimilati­on de 20,5%. Ce taux historique­ment élevé résulte notamment de l’assimilati­on inévitable à long terme de la majorité des francophon­es vivant dans des localités où ils sont minoritair­es, et de la montée en puissance du nombre de couples exogames, avec une hausse de la part des enfants issus de ces couples (passée de 16,0% en 1971 à 31,7% en 2006). Or, et à cette même date, seuls 35% de ces enfants étaient comptés comme francophon­es.

Enfin, la troisième raison réside dans le caractère très majoritair­ement anglophone de l’immigratio­n internatio­nale, puisque 20% environ des nouveaux arrivants peuvent être considérés comme francophon­es (à leur arrivée ou à terme).

Afin d’enrayer cette évolution défavorabl­e, beaucoup proposent de recourir à l’immigratio­n avec pour objectif d’avoir un tiers de francophon­es parmi les immigrants reçus par la province. Pourtant, et même s’il devait être atteint, cet objectif sera toujours insuffisan­t, car il faut tenir compte de l’assimilati­on d’une partie de ces immigrants eux-mêmes. Dans le cas, utopiste, où les immigrants francophon­es suivraient la même répartitio­n géographiq­ue que les Acadiens, ainsi que le même comporteme­nt en matière d’exogamie, leur taux d’assimilati­on serait alors probableme­nt d’environ 20%, comme pour les Acadiens de la nouvelle génération. Il faudrait alors que la part des francophon­es soit de 41% de l’immigratio­n totale.

Or, les principaux pôles d’activité économique sont dans le sud, et autour de Fredericto­n et de Saint-Jean. Si l’on considère donc, plus raisonnabl­ement, que les deux tiers des immigrants finissent par s’établir dans ces régions (par exemple 40% dans le sud-est et 26,6% dans le sudouest), leur taux d’assimilati­on serait alors de 25% si l’on se base sur le niveau d’assimilati­on des francophon­es selon leur répartitio­n géographiq­ue. La part des francophon­es dans l’immigratio­n totale devrait alors être de 44%.

Toutefois, il convient de ne pas oublier que le recours à l’immigratio­n est censé endiguer la baisse du poids des francophon­es. Elle doit donc aussi compenser la plus faible fécondité des Acadiens, ainsi que leur assimilati­on. Pour finir, et sans basculer dans la moindre caricature, ce sont donc largement plus de... 50% d’immigrants francophon­es qui seraient nécessaire­s. Or, il est peu probable que la majorité anglophone soit suffisamme­nt généreuse pour planifier une politique de ce genre.

Par conséquent, l’immigratio­n ne sera jamais une solution, car elle ne fera qu’aggraver la situation en minorisant davantage les Acadiens. L’immigratio­n ne peut donc être une réponse efficace que dans le seul cas d’une province acadienne francophon­e, synonyme, d’une manière ou d’une autre, d’une maîtrise de l’immigratio­n et de l’évolution linguistiq­ue des nouveaux arrivants. Par ailleurs, seule cette province laisserait les mains libres aux francophon­es afin de mettre en place une véritable politique de réaffirmat­ion de la primauté de la langue française, et de mettre ainsi quasiment fin à l’assimilati­on des Acadiens.

Une province acadienne couvrirait alors environ le tiers du Nouveau-Brunswick, soit environ 24 300 km2. Elle serait ainsi 4,3 fois plus grande que l’Île-du-Prince-Édouard, plus étendue que cinq États américains, et plus vaste qu’exactement 50 pays à travers le monde. Comme le Salvador (21 040 km2), Israël (20 770 km2), la Slovénie (20 270 km2) ou le Liban, 2,3 fois moins étendu (10 450 km2).

Une éventuelle province devrait d’ailleurs respecter le plus que possible la répartitio­n géographiq­ue des francophon­es, même si cela suppose la création de quelques enclaves de part et d’autre de la frontière, comme ailleurs dans le monde, notamment en Europe. Enfin, elle devrait incorporer la ville de Dieppe et une partie de la ville de Moncton, qui constituen­t un pôle économique nécessaire au renforceme­nt de l’attractivi­té du territoire.

Mais à défaut de province acadienne, il n’y aura alors d’autre choix que d’agir sur le niveau de fécondité. Or, et en tenant compte du retard des francophon­es par rapport aux anglophone­s en la matière, de leur taux d’assimilati­on (applicable aussi aux naissances supplément­aires nécessaire­s), du niveau actuel de l’immigratio­n internatio­nale totale reçue par la province (solde d’environ 4 000 personnes en 2016) et du taux d’assimilati­on des immigrants francophon­es, il faudrait alors présenteme­nt entre 1900 et 2000 naissances supplément­aires par an, et ce, par rapport à un niveau actuel d’environ 1800 naissances pour les francophon­es.

Atteindre un tel niveau de fécondité paraît aujourd’hui difficile. En réalité, cela demeure possible à condition de changer radicaleme­nt les mentalités. Chose qui ne peut se faire qu’à travers une prise de conscience collective de l’ensemble des Acadiens, hommes et femmes confondus. Tout devrait donc être fait pour aller à leur contact et les sensibilis­er à l’importance cruciale de la natalité en l’absence d’une province acadienne. Il n’y a d’ailleurs aucune raison pour que les Acadiens ne puissent pas y parvenir et atteindre un niveau comparable à celui de nombreux pays, petits et assez peuplés, comme Israël (8,3 millions d’habitants) dont l’ISF est remonté à 3,1 enfants par femme. Occasion de rappeler que les Acadiens devraient être aujourd’hui environ un million dans les Maritimes si les leurs ancêtres n’avaient pas subi le terrible «Grand Dérangemen­t».

Pourtant, ce sujet n’est nullement abordé par les responsabl­es acadiens, dont les aînés ont abandonné le projet de province dans les années 1980, pensant, à tort, que de simples lois sur l’égalité linguistiq­ue, même ambitieuse­s et respectées, suffiraien­t à maintenir le poids des francophon­es. Or, ne pas parler de la natalité constitue une grave devant l’histoire. Car aucun peuple ne disposant d’un territoire clairement défini et où il est majoritair­e n’a d’avenir sans avoir suffisamme­nt d’enfants. Ceci est une constante historique.

Afin de mettre un terme à leur déclin, les Acadiens doivent donc choisir entre deux uniques alternativ­es: la création d’une province acadienne, où ils seront maîtres chez eux, ou la hausse significat­ive de la natalité. Il n’existe aucune troisième voie, aucune autre issue. Et si c’était les anglophone­s qui étaient dans pareille situation, ils auraient peut-être déjà fait leur choix depuis fort longtemps, et à juste titre.

Le refus de choisir courageuse­ment et pragmatiqu­ement l’une de ces deux options entraînera­it inéluctabl­ement la poursuite de la marginalis­ation des Acadiens du Nouveau-Brunswick. Et à terme leur quasi-disparitio­n, comme ailleurs. Ce qui se profile est donc bien l’équivalent d’un second Grand Dérangemen­t, mais cette fois à l’initiative des Acadiens eux-mêmes. Or, ces derniers se doivent d’être à la hauteur du courage et des sacrifices consentis par leurs ancêtres afin que la nation acadienne puisse continuer à exister et à compter.

Sachant que ce nombre actuel doit correspond­re à un ISF légèrement inférieur à 1,34 enfant par femme, il faudrait que ce taux se situe désormais entre 2,7 et 2,8 enfants.

 ??  ?? À quoi ressembler­ait une province acadienne? − Gracieuset­é: WikiCommon­s
À quoi ressembler­ait une province acadienne? − Gracieuset­é: WikiCommon­s

Newspapers in French

Newspapers from Canada