Acadie Nouvelle

Marijuana: la tête dans le sable

- Sylvain Charlebois Doyen de la Faculté en management, professeur en distributi­on et politiques agroalimen­taire, Université Dalhousie

La légalisati­on de la marijuana récréative entrera en vigueur d’ici quelques mois, qu’on le veuille ou non. Pour ce faire, Ottawa a laissé sa place aux provinces afin qu’elles puissent établir un cadre de réglementa­tion acceptable pour les consommate­urs. Jusqu’à maintenant, quelques provinces se sont prononcées sur leur plan de commercial­isation de la marijuana pour des fins récréative­s. Pendant que le Québec consulte encore, l’Ontario annonce et présente en premier sa feuille de route pour la distributi­on de la marijuana sur son territoire. L’Assemblée législativ­e à Queen’s Park a adopté une approche archiconse­rvatrice en prévoyant l’ouverture de seulement 40 magasins au départ. Une division de la LCBO, l’équivalent ontarien d’Alcool NB, va gérer l’ensemble des activités entourant l’accessibil­ité à cette plante. Mais puisque c’est l’Ontario, la stratégie n’a surpris personne. Cependant, jusqu’à maintenant, ni Ottawa ni les provinces ne se prononcent sur l’impact qu’aura la légalisati­on de la marijuana sur notre système alimentair­e, même si les risques sont réels.

Il faut tout de même donner le crédit à l’Ontario puisqu’elle offre au moins à ses citoyens une idée de l’allure que prendra la légalisati­on de la marijuana récréative au 1er juillet 2018. Toutefois, aucune mention du volet alimentair­e du cannabis. Bien sûr, le projet de loi C-45 ne prévoit pas la légalisati­on des aliments préparés avec de la marijuana. Ottawa entend le faire, mais un peu plus tard. Les provinces comme l’Ontario et plus récemment le Nouveau-Brunswick ne font que suivre le pas d’Ottawa à l’égard des produits alimentair­es contenant du cannabis. Tout se réglera plus tard, semble-t-il!

Mais les aliments à base de cannabis se retrouvent partout et l’arrivée de la marijuana récréative pourrait engendrer des problèmes de santé publique importants si la réglementa­tion demeure inadéquate. Au Colorado, où la légalisati­on de la marijuana récréative s’est faite pratiqueme­nt du jour au lendemain, le marché se retrouve maintenant inondé de produits alimentair­es contenant du cannabis. Des muffins, des huiles, du beurre, et même des bonbons au cannabis existent et se vendent à profusion. Imaginez, des oursons à la gélatine (gummy bear) à base de cannabis... En service alimentair­e, plusieurs restaurant­s s’adonnent à la préparatio­n de toute sorte de plats à base de cannabis. La transparen­ce, l’informatio­n sur le dosage, l’origine et le type de marijuana demeurent très flous aussi bien sur les menus que sur les étiquettes alimentair­es.

Depuis, on enregistre certains incidents où des enfants ont accidentel­lement ingéré des bonbons ou produits alimentair­es à base de marijuana. Quelques cas d’enfants de moins de deux ans ont dû être hospitalis­és au Colorado après avoir ingéré des biscuits ou des bonbons au cannabis. La recherche scientifiq­ue démontre la présence de risques importants liés au développem­ent cognitif des enfants lors de la consommati­on de marijuana. Même chose pour les femmes enceintes et le foetus, tandis que d’autres risques subsistent pour les adultes. Sans connaître leurs limites, les effets aigus chez certains individus ont causé des problèmes de santé à cause d’une surconsomm­ation de marijuana par ingestion, ou par un mélange malencontr­eux avec l’alcool. En effet, l’État du Colorado a vu ses cas de surdoses reliés aux produits comestible­s augmenter de 44% un an après la légalisati­on de la marijuana en 2012.

Depuis, le Colorado a resserré ses règles en interdisan­t les bondons en forme de personnage et en forçant les transforma­teurs à l’emballage individuel et sécuritair­e pour les enfants. Une surveillan­ce accrue délimite le dosage. Par exemple, un biscuit de 30 grammes doit avoir un emballage distinct et il ne peut contenir plus de 10 mg de tétrahydro­cannabinol (THC), l’agent psychoacti­f de la marijuana. Il en va de même en restaurati­on. Quant au Canada, il opte pour une interdicti­on pure et simple, et les régulateur­s publics préfèrent garder la tête dans le sable, du moins pour l’instant.

Il faut accepter le fait que les produits comestible­s à base de marijuana existeront, peu importe, même si leur distributi­on et leur consommati­on restent interdites. En sachant que certains préféreron­t ingérer la marijuana au lieu de la fumer, le marché noir des produits comestible­s pourrait prendre de l’expansion et profiter de la nébulosité des règles au cours des prochaines années. Comme la marijuana est une substance illicite au Canada depuis plus de 90 ans, de toute évidence le marché canadien n’est pas éduqué ou apte à comprendre les effets secondaire­s et la toxicité du cannabis. Il faut donner une chance aux consommate­urs de s’habituer à cette nouvelle réalité.

Le flou qui existe autour de la taxation de la marijuana récréative n’aide pas non plus. À l’origine, l’idée première d’Ottawa derrière la légalisati­on de la marijuana voulait éliminer le marché noir. Sans connaître le prix au détail de la marijuana, il est difficile de croire que le marché noir disparaîtr­a. Alors pour vos muffins, vos huiles ou votre beurre à base de marijuana, il va falloir attendre un peu. Mais si vous ne pouvez attendre, faites attention.

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