Moments de clartés
C’est comme un pèlerinage que nous faisons depuis quelques années. Chaque été, on prend la clé des champs pour aller ailleurs. C’est un prétexte pour être ensemble. Parfois, c’est dans notre cour: Maisonnette ou Miscou. D’autres fois, on s’éloigne de notr
Les terres de Cocagne qui évoquent la joie de vivre s’étendent au-delà des limites de cette communauté rurale. Nous avons donc mis le cap sur Moncton pour aller visiter des amies à la maison-mère des religieuses de Notre-Dame-du-Sacré-Coeur (NDSC). Et nous avons été nourris autant par la générosité de leur table que par les conversations. Les saveurs étaient autant dans les assiettes que dans les souvenirs échangés.
Attablés avec plusieurs religieuses qui ont oeuvré dans le nord de la province, nous avons évoqué avec elle la vie communautaire dans leurs couvents entre Bathurst-Est et Petit-Rocher. Elles racontaient, avec une fierté légitime, leur engagement au service du chant choral et de l’éducation qui continue de donner leurs fruits dans la région Chaleur. Elles s’informaient de ce qu’était devenu celui-ci, et celle-là. Elles nous révélaient la beauté des lieux et des personnes qui font désormais partie de leur histoire.
Après le repas, une visite de la maison et une énième discussion au parloir, nous quittons avec la promesse de rester unis dans la prière. Notre deuxième destination n’est pas trop loin. Nous allons à une autre résidence de la communauté rendre visite à Viola Léger pour échanger un peu avec elle et lui exprimer notre reconnaissance.
On aurait dit qu’elle s’était préparée à nous accueillir comme nous l’avons connu sur les planches et au Pays de la Sagouine: elle se berçait près d’une fenêtre qui laissait entrer timidement quelques rayons de soleil. Elle parlait avec son accent et ses expressions qui nous l’ont fait aimer. Nous avons évoqué quelques souvenirs de rencontres à Caraquet et à Ottawa. Nous lui avons donné des nouvelles de ses amis de la colonie artistique du Nord.
Lorsque je lui ai dit qu’elle devait être fière de son parcours qui nous a nousmêmes rendus fiers de notre identité, elle a répondu «J’crois ben que j’ai ‘faite’ ce qu’j’avais à faire».
Pour moi, c’était l’écho des serviteurs de l’Évangile: «Nous n’avons fait que notre travail; nous avons fait ce que nous devions faire» (Luc 17, 10). Mais entre faire son travail et le faire avec ardeur en repoussant constamment les limites, il y a une marge. Et c’est cette marge qui fait la grandeur de son oeuvre.
Au moment de se quitter, j’ai mis ma main dans la sienne pour lui exprimer ma gratitude. Lui, il a redit l’Acadie reconnaissante à son égard et il a mis sa main sur son front, traçant presque imperceptiblement le signe de la croix avec son doigt. Elle a alors dit «Je vous remercie pour votre bénédiction». C’était la bénédiction d’un échange. Les bienfaits d’une visite. Et le gage d’une reconnaissance que la maladie ne peut effacer.
Nous avons ensuite longé le détroit de Northumberland pour apprécier la beauté des villages qui ont le charme de leurs noms: Pointe-du-Chêne, Grande-Digne, Cap-des-Caissie, Cocagne, Saint-Thomas. Après quelques arrêts, arrivés à Bouctouche, nous avons décidé de nous arrêter à l’ancien couvent des NDSC. Nous avons eu la chance de revoir le conservateur du Musée de Kent qui nous a fait visiter cet édifice témoin de l’histoire et de l’oeuvre des religieuses dans cette région.
Nous déplaçant d’un endroit à un autre, nous avons reconnu une fois de plus le précieux héritage que les communautés religieuses font à l’Acadie.
Alors que nous parlions en gratitude, nous nous demandions comment certaines personnes peuvent-elles définir l’âge d’or de l’engagement des religieuses dans la société comme la «grande noirceur»?
Lorsque les religieuses étaient aux commandes des écoles, des hôpitaux et des ouvroirs, la société se portait elle aussi mal que cela? Cette société qui dit s’être libérée de ce joug lors de la Révolution tranquille. Si de l’autre côté de la frontière on peut parler de grande noirceur, force est de reconnaître que l’éclipse était partielle. Parce qu’ici, il y a eu des épisodes ténébreux, mais beaucoup de clartés qui continuent d’éclairer la route.
Merci, père Saulnier, d’avoir été compagnon de voyage pour cette tournée en terre de cocagne. Au plaisir d’une prochaine escapade pour se bercer de souvenirs et rêver d’un avenir aussi beau. Et surtout pour se fabriquer d’autres souvenirs qui seront nécessaires lorsque nous ne pourrons voyager qu’en pensée.