Caméras routières: avec prudence
La Ville de Moncton réclame le droit d’installer des caméras routières près de quelques intersections achalandées de son centre-ville. Le projet se défend, mais à condition que ce soit fait de façon ordonnée et pour les bonnes raisons.
Quiconque passe le moindrement de temps dans les secteurs les plus achalandés de Moncton reconnaîtra qu’il faut parfois subir le parcours du combattant pour se rendre du point A ou point B. Ce n’est rien de comparable avec une promenade sur l’autoroute Henri-IV de Québec pendant l’heure de pointe, mais ce n’est pas non plus l’équivalent d’une petite balade le dimanche dans la rue principale d’un village de campagne.
Moncton a grandi à une vitesse phénoménale au cours des dernières décennies, au point d’être devenue la municipalité la plus populeuse du Nouveau-Brunswick. Ses banlieues ont subi une courbe de croissance similaire, si bien que l’impact se fait sentir chaque jour sur la circulation.
Beaucoup de véhicules se retrouvent ainsi au même endroit au même moment.
Les autorités ont réalisé à la longue être aux prises avec un problème de respect de la signalisation. Il n’est pas rare de voir un automobiliste qui est à la queue leu leu derrière une foule d’autres véhicules s’avancer au milieu d’une intersection même si le feu est passé au rouge. D’autres sont plus téméraires.
Le résultat, c’est que bon an mal an, de 1000 à 1500 accidents automobiles surviennent chaque année dans la cité.
Désireux de savoir à quel point le problème est anecdotique ou plus grave, le coordonnateur de transport de Moncton, Stéphane Thibodeau, a dépêché une équipe pour comptabiliser le nombre d’infractions aux feux de circulation à certaines intersections jugées problématiques. Il a été renversé par les résultats. «On avait de la difficulté à toutes les compter tellement il y en avait.»
Sa solution? Installer des caméras de surveillance, ce qui permettrait d’envoyer des constats d’infraction aux fautifs à la maison.
Nous ne sommes pas fous de ce genre d’initiatives. S’il y a un problème de respect de la signalisation routière, la Ville de Moncton devrait plutôt exiger du Service régional Codiac de la GRC qu’elle surveille la situation de plus près.
Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls à observer une certaine méfiance à l’endroit des systèmes automatisés basés sur l’utilisation de caméras ou d’appareils photo. Les citoyens en général et les automobilistes en particulier détestent ces appareils. Il y a une raison pour laquelle il n’y en a pas au Nouveau-Brunswick. Les élus provinciaux savent bien qu’ils seraient mal reçus au sein de l’électorat.
La ligne est en effet très mince entre un appareil qui permet de changer les habitudes des automobilistes ainsi que de sauver des vies et un autre qui sert surtout de machine à imprimer de l’argent.
Un agent de police sait généralement quand faire preuve de jugement. Il ne forcera pas un citoyen à s’arrêter sur le bord de la route parce que celui-ci a dépassé les limites de vitesse de seulement quelques kilomètres/ heure. Un appareil dont les paramètres sont contrôlés par un fonctionnaire ne fera pas cette distinction, surtout si le but premier est d’aller chercher des sous.
Néanmoins, force est de constater que lorsqu’ils sont utilisés convenablement, les caméras routières ont obtenu des résultats impressionnants. Au Québec, les cinémomètres ont été installés en priorité sur des routes où le taux d’accidents était particulièrement élevé. Une grande amélioration a été enregistrée sur ce front à la suite de cette initiative.
À Moncton, le principal problème ne semble cependant pas en être un d’excès de vitesse, mais bien du respect des feux de circulation en certains endroits bien précis. L’installation d’une caméra (et d’une pancarte annonçant sa présence) pourrait permettre de réaliser de petits miracles, et à faible coût.
Si le gouvernement provincial décide de répondre favorablement à la requête de la Ville de Moncton, nous l’invitons à le faire dans l’ordre. Cette tentative pourrait par exemple faire l’objet d’un projet-pilote qui serait limité dans le temps.
Au bout de quelques mois, le gouvernement et la municipalité partageraient leur analyse, à savoir s’il y a eu un impact positif sur la quantité d’infractions constatées et sur le nombre d’accidents, tout en révélant les coûts et surtout les revenus recueillis grâce aux amendes.
La prudence s’impose. Au Québec, la Cour provinciale a décrété que les contraventions imposées à l’aide d’un cinémomètre sont illégales et inadmissibles, puisqu’aucun policier n’est témoin direct de l’infraction ni du bon fonctionnement du radar.
Toute initiative qui peut permettre de rendre nos routes plus sécuritaires doit être étudiée avec la plus grande attention. À condition, toutefois, que ces appareils ne se transforment pas en taxe cachée qui sert plus à remplir les poches du gouvernement qu’à protéger les automobilistes d’eux-mêmes.