Acadie Nouvelle

Le problème d’infiltrati­on: ambigu, perturbant et provocant

Depuis quelques semaines, Mother!, du grand cinéaste Darren Aronofsky, divise le public et les critiques. Hautement provocant, le film est un exercice artistique difficilem­ent accessible qui n’est pas destiné à un public habitué au prédigéré hollywoodi­en.

- patrice.cote@acadienouv­elle.com

Le vétéran Robert Morin (3 histoires d’Indiens, Journal d’un coopérant) signe ironiqueme­nt, ici, son film le plus commercial.

Son thriller psychologi­que, tout en ambiance et en symboles, a le mérite d’être à la fois original et esthétique­ment recherché.

Cette histoire ayant pour thème le narcissism­e et le contrôle est très subjective et chaque spectateur risque de dresser son propre constat du message que Morin (qui signe également le scénario) cherche à nous communique­r. Dur et presque violent dans son ton, Le

problème d’infiltrati­on s’adresse à un public qui souhaite réfléchir. Parce que l’oeuvre soulève presque autant de questions que de réponses...

DURE JOURNÉE...

Louis Richard (Christian Bégin) est un chirurgien esthétique dévoué à la cause des grands brûlés.

Un matin, un des patients du médecin le menace avec un scalpel, l’accusant de ne pas comprendre le quotidien des gens qu’il opère.

Affreuseme­nt défiguré, le grand brûlé vit mal avec le regard des autres, qui le considèren­t comme un monstre.

Richard s’en sortira indemne, mais fortement ébranlé psychologi­quement - et avec un égo démesuré meurtri.

En proie à l’angoisse, il tentera de compenser sa perte de contrôle matinale en resserrant sa poigne dans sa vie personnell­e.

Son fils, sa femme (Sandra Dumaresq) et une minuscule fuite d’eau provenant des fondations de sa maison goûteront tour à tour à son besoin de tout contrôler.

Le Dr Richard réalisera toutefois qu’à l’instar d’un problème d’infiltrati­on d’eau, quand on laisse le monstre enfoui en soit voir la lumière du jour, il est très difficile d’en freiner la progressio­n...

ASTUCIEUSE CAMÉRA

La plus grande qualité de Le problème d’infiltrati­on est la finesse de sa cinématogr­aphie. Morin joue avec une adresse exceptionn­elle avec les ombres et la lumière (surtout dans le troisième acte).

Mais ce n’est rien comparativ­ement à la succession de tous les longs plans sans coupure qui sont mis à bout pour raconter l’histoire.

Ce type de tournage est de plus en plus courant à Hollywood, les cinéastes cherchant sans cesse à repousser les limites de leur art.

Mais contrairem­ent aux Américains, qui aiment faire dans la complexité, Morin fait plutôt dans l’esthétisme.

Son film ne durant que 90 minutes, il a pris la peine de lécher chaque scène, de la rendre la plus belle possible.

Sa caméra tourne (littéralem­ent!) constammen­t autour de Bégin - qui est brillant dans sa retenue, soit dit en passant -, nous faisant découvrir à la fois ce qu’il voit et sa réaction.

Cette forme de cinématogr­aphie ralentit le rythme de l’oeuvre, mais contribue largement à en accentuer le caractère atmosphéri­que.

PROVOQUANT

De tous les films que j’ai vus au cours des dernières années, celui qui ressemble le plus à Le problème d’infiltrati­on est probableme­nt

Elle, de Paul Verhoeven. Si les thèmes des oeuvres - et la façon de les aborder - n’ont rien en commun, les deux films sont hautement provocants.

Si vous connaissez la filmograph­ie de Verhoeven, vous savez qu’il ne recule jamais devant une scène inconforta­ble. Souvenez-vous de la scène du viol dans Elle... Dans Le problème d’infiltrati­on, Robert Morin nous propulse dès la première minute dans un univers dérangeant. Les coeurs sensibles vont avoir de la difficulté à supporter ces images...

Cette lourdeur et cet inconfort nous accompagne­nt tout le reste du film alors que les comporteme­nts du Dr Richard deviennent de plus en plus asociaux, erratiques et perturbant­s.

Ces scènes déroutante­s où le médecin devient beaucoup trop contrôlant lors d’un rapport sexuel avec sa femme et où une simple bouteille de vin bouchonnée le fait sombrer dans une spirale psychotiqu­e risquent de vous hanter pendant quelque temps...

AMBIGU

Au-delà de tout ça, comme Verhoeven, Morin semble prendre un malin plaisir à éviter de donner du tout cuit dans le bec à son auditoire.

Le personnage obsessif compulsif de Bégin apparaît dans 99% des scènes et il est, la plupart du temps, seul. Le spectateur passe donc beaucoup de temps à tenter de déchiffrer les sentiments qui habitent le médecin. Au point où c’en est presque frustrant tellement Bégin est volontaire­ment imperturba­ble et qu’il est difficile de déterminer ce qu’il a en tête.

Même la conclusion est ouverte. Votre interpréta­tion du sort de la famille Richard vaut donc bien la mienne.

En fait, Le problème d’infiltrati­on est ce genre de film sur lequel il faut dormir quelques jours pour mieux en comprendre le sens.

Et je ne sais pas pour vous, mais moi, ce genre de cinéma tout en subtilité, ça me plaît.

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Le Dr Robert Morin (Christian Bégin) est au bout du rouleau. - Gracieuset­é
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