Le problème d’infiltration: ambigu, perturbant et provocant
Depuis quelques semaines, Mother!, du grand cinéaste Darren Aronofsky, divise le public et les critiques. Hautement provocant, le film est un exercice artistique difficilement accessible qui n’est pas destiné à un public habitué au prédigéré hollywoodien.
Le vétéran Robert Morin (3 histoires d’Indiens, Journal d’un coopérant) signe ironiquement, ici, son film le plus commercial.
Son thriller psychologique, tout en ambiance et en symboles, a le mérite d’être à la fois original et esthétiquement recherché.
Cette histoire ayant pour thème le narcissisme et le contrôle est très subjective et chaque spectateur risque de dresser son propre constat du message que Morin (qui signe également le scénario) cherche à nous communiquer. Dur et presque violent dans son ton, Le
problème d’infiltration s’adresse à un public qui souhaite réfléchir. Parce que l’oeuvre soulève presque autant de questions que de réponses...
DURE JOURNÉE...
Louis Richard (Christian Bégin) est un chirurgien esthétique dévoué à la cause des grands brûlés.
Un matin, un des patients du médecin le menace avec un scalpel, l’accusant de ne pas comprendre le quotidien des gens qu’il opère.
Affreusement défiguré, le grand brûlé vit mal avec le regard des autres, qui le considèrent comme un monstre.
Richard s’en sortira indemne, mais fortement ébranlé psychologiquement - et avec un égo démesuré meurtri.
En proie à l’angoisse, il tentera de compenser sa perte de contrôle matinale en resserrant sa poigne dans sa vie personnelle.
Son fils, sa femme (Sandra Dumaresq) et une minuscule fuite d’eau provenant des fondations de sa maison goûteront tour à tour à son besoin de tout contrôler.
Le Dr Richard réalisera toutefois qu’à l’instar d’un problème d’infiltration d’eau, quand on laisse le monstre enfoui en soit voir la lumière du jour, il est très difficile d’en freiner la progression...
ASTUCIEUSE CAMÉRA
La plus grande qualité de Le problème d’infiltration est la finesse de sa cinématographie. Morin joue avec une adresse exceptionnelle avec les ombres et la lumière (surtout dans le troisième acte).
Mais ce n’est rien comparativement à la succession de tous les longs plans sans coupure qui sont mis à bout pour raconter l’histoire.
Ce type de tournage est de plus en plus courant à Hollywood, les cinéastes cherchant sans cesse à repousser les limites de leur art.
Mais contrairement aux Américains, qui aiment faire dans la complexité, Morin fait plutôt dans l’esthétisme.
Son film ne durant que 90 minutes, il a pris la peine de lécher chaque scène, de la rendre la plus belle possible.
Sa caméra tourne (littéralement!) constamment autour de Bégin - qui est brillant dans sa retenue, soit dit en passant -, nous faisant découvrir à la fois ce qu’il voit et sa réaction.
Cette forme de cinématographie ralentit le rythme de l’oeuvre, mais contribue largement à en accentuer le caractère atmosphérique.
PROVOQUANT
De tous les films que j’ai vus au cours des dernières années, celui qui ressemble le plus à Le problème d’infiltration est probablement
Elle, de Paul Verhoeven. Si les thèmes des oeuvres - et la façon de les aborder - n’ont rien en commun, les deux films sont hautement provocants.
Si vous connaissez la filmographie de Verhoeven, vous savez qu’il ne recule jamais devant une scène inconfortable. Souvenez-vous de la scène du viol dans Elle... Dans Le problème d’infiltration, Robert Morin nous propulse dès la première minute dans un univers dérangeant. Les coeurs sensibles vont avoir de la difficulté à supporter ces images...
Cette lourdeur et cet inconfort nous accompagnent tout le reste du film alors que les comportements du Dr Richard deviennent de plus en plus asociaux, erratiques et perturbants.
Ces scènes déroutantes où le médecin devient beaucoup trop contrôlant lors d’un rapport sexuel avec sa femme et où une simple bouteille de vin bouchonnée le fait sombrer dans une spirale psychotique risquent de vous hanter pendant quelque temps...
AMBIGU
Au-delà de tout ça, comme Verhoeven, Morin semble prendre un malin plaisir à éviter de donner du tout cuit dans le bec à son auditoire.
Le personnage obsessif compulsif de Bégin apparaît dans 99% des scènes et il est, la plupart du temps, seul. Le spectateur passe donc beaucoup de temps à tenter de déchiffrer les sentiments qui habitent le médecin. Au point où c’en est presque frustrant tellement Bégin est volontairement imperturbable et qu’il est difficile de déterminer ce qu’il a en tête.
Même la conclusion est ouverte. Votre interprétation du sort de la famille Richard vaut donc bien la mienne.
En fait, Le problème d’infiltration est ce genre de film sur lequel il faut dormir quelques jours pour mieux en comprendre le sens.
Et je ne sais pas pour vous, mais moi, ce genre de cinéma tout en subtilité, ça me plaît.