Acadie Nouvelle

La méthode Atcon

- Francois Gravel Francois Gravel@acadienouv­elle.com

Accablant. Scandaleux. Les adjectifs ne manquent pas pour décrire la façon dont ont été gaspillés les millions de dollars en fonds publics injectés par le gouverneme­nt Graham, il y a huit ans, pour sauver Atcon, à Miramichi.

En lisant le rapport, nous comprenons mieux pourquoi le premier ministre Brian Gallant a tenté de décourager la vérificatr­ice générale du N.-B., Kim MacPherson, d’enquêter en profondeur sur ce sujet.

À compter de 2015, Mme MacPherson a dû brasser la cage afin de pouvoir mener son enquête, «que le gouverneme­nt le veuille ou non», avait-elle tenu à préciser. Pour ce faire, elle a dû défoncer son budget annuel de plus de 400 000$, malgré l’opposition ferme du premier ministre Brian Gallant. «Nous n’allons pas appuyer une vérificati­on juriscompt­able», a-t-il déclaré en mars 2015. «Les NéoBrunswi­ckois sont au courant de ce qui s’est passé. Tout a été rendu public.»

L’avenir n’a pas donné raison à M. Gallant, et ce n’est pas peu dire.

Nous savions déjà que l’ancien premier ministre Shawn Graham s’était mis en position de conflit d’intérêts en participan­t aux discussion­s qui ont mené à la décision d’aider financière­ment Atcon. Son père, l’ancien ministre Alan Graham, était alors membre du conseil d’administra­tion de l’une des filiales de l’entreprise de Miramichi.

Nous savions aussi que le conseil des ministres avait décidé d’aider l’entreprise déficitair­e en autorisant des garanties de prêt malgré les recommanda­tions contraires de ses fonctionna­ires.

Néanmoins, la vérificatr­ice générale nous réservait encore des surprises.

D’abord, et c’est ce qui frappe le plus l’imaginatio­n, elle a découvert que les dirigeants d’Atcon se croyaient tout permis.

Ils n’ont pas hésité à utiliser l’argent pour s’offrir un train de vie luxueux. L’entreprise s’est dotée d’une propriété de vacances dans les Caraïbes et a loué pendant trois ans un avion d’affaires privé. Elle a payé l’impôt sur le revenu de certains dirigeants. Des membres de la famille de ceux-ci ont aussi reçu un généreux salaire même s’ils ne travaillai­ent pas dans l’entreprise.

Tout ça pendant que l’entreprise allait si mal que l’intérêt sur la dette excédait son bénéfice d’exploitati­on et que seul l’argent des banques et de Fredericto­n lui permettait de vivre sur du temps emprunté!

Les députés et les ministres impliqués dans la prise de décision étaient sans doute de bonne foi. L’objectif premier était d’appuyer l’économie d’une région qui éprouvait des problèmes et, il faut bien le dire, d’améliorer leurs chances de réélection. Rien dans le rapport ne laisse croire qu’ils souhaitaie­nt dépenser les fonds publics pour engraisser des amis du parti.

Le gouverneme­nt de Shawn Graham (2006-2010) ne peut cependant pas plaider l’ignorance totale. Le fait que les patrons d’Atcon volaient à bord d’un avion privé n’était pas exactement un secret d’État…

L’autre surprise est que le gouverneme­nt provincial semble avoir tiré bien peu de leçons de cette débâcle, un peu comme s’il ne s’agissait que d’une grosse bourde. Une bourde qui a malheureus­ement coûté très cher aux contribuab­les, mais qu’on peut se contenter de balayer sous le tapis.

Ce n’est pourtant pas comme si le fiasco datait de Mathusalem. Six ministres libéraux de l’époque sont encore députés. Prenons la peine de les nommer: Denis Landry, Brian Kenny, Rick Doucet, Victor Boudreau, Donald Arseneault et Ed Doherty.

Les trois premiers sont toujours ministres aujourd’hui. Les trois derniers ont été éjectés du Cabinet peu avant la publicatio­n dudit rapport, ce qui n’est sans doute pas une coïncidenc­e.

Aucune de ces six personnes réputées être intelligen­tes et compétente­s, et à notre connaissan­ce sans problème de mémoire, n’a pu expliquer à la vérificatr­ice générale pourquoi le gouverneme­nt a renoncé à l’époque à des garanties sur les investisse­ments au profit de la Banque de la Nouvelle-Écosse. Cette décision a pourtant coûté à elle seule de 12 à 19 millions $ aux contribuab­les. Ces millions auraient normalemen­t pu être récupérés, mais ont été perdus en raison d’une décision gouverneme­ntale que personne ne peut (ou ne veut) aujourd’hui expliquer.

Pire, l’agence de développem­ent économique Opportunit­és NB s’était engagée, il y a deux ans, à mettre en place toutes les recommanda­tions de la vérificatr­ice contenue dans son premier rapport sur Atcon. Elle n’en a mis en applicatio­n que quatre sur 19.

Dans ces circonstan­ces, inutile de dire que nous sommes nerveux à l’idée qu’un autre Atcon puisse se répéter. Rappelons que la province prévoit verser 8,7 millions $ à Sears Canada sous forme de subvention­s salariales et de prêts, en échange de création d’emplois. Sears est présenteme­nt au bord de la faillite…

La vérificatr­ice générale est claire. Si le gouverneme­nt ne change pas «considérab­lement» ses méthodes, un autre scandale Atcon peut survenir.

La méfiance du gouverneme­nt Gallant à l’égard des fonctionna­ires indépendan­ts est bien connue. Nous l’invitons à faire fi de celle-ci et à adopter sans attendre toutes ses recommanda­tions.

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