Acadie Nouvelle

ALÉNA: est-ce terminé?

Sylvain Charlemois Professeur en Distributi­on et Politiques Agroalimen­taires, Faculté en Agricultur­e, et Doyen de la Faculté en Management, Université Dalhousie

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Le parcours vers une nouvelle entente de l’Accord de libre-échange nord-américain s’annonce plus ardu qu’initialeme­nt espéré. Dès les premiers jours de son élection à l’automne 2016, Donald Trump ne cachait pas son mécontente­ment envers l’accord signé plus de vingt ans auparavant. En quelques heures et sans hésitation, le Canada et le Mexique se disaient prêts à renégocier, mais depuis la crainte s’installe, et pour cause.

Pour le secteur agroalimen­taire, l’enjeu est énorme. Le Canada vend pour plus de 22 milliards $ aux États-Unis chaque année, notamment du boeuf, du porc, du canola et de la farine animale. Nous enregistro­ns malgré tout un déficit commercial de presque 2 milliards $ avec les États-Unis, puisqu’ils peuvent nous vendent des produits transformé­s et des breuvages moins chers. Mais une pression réelle s’exerce principale­ment sur notre système de la gestion de l’offre. Le secrétaire américain à l’Agricultur­e, Sonny Perdue, a mentionné récemment qu’il déposerait une requête officielle afin d’assouplir les politiques protection­nistes sous la gestion de l’offre qui prescriven­t les règles des filières laitières et avicoles. Donald Trump devient le premier président américain à s’exprimer à l’égard de notre système de la gestion de l’offre depuis George Bush, père.

La gestion de l’offre, instaurée depuis une cinquantai­ne d’années, nous permet de produire le lait, les oeufs et la volaille que nous consommons. Par le biais de quotas de production et de tarifs douaniers astronomiq­ues, nous misons sur ce système archiprote­ctionniste afin de nous assurer d’une certaine souveraine­té alimentair­e. Ce système fonctionne parfaiteme­nt dans la mesure où nous avons une économie isolée du reste du monde, un contexte qui a évidemment bien changé...

Même s’il y a fort à parier que Donald Trump comprend mal le fonctionne­ment de l’ALÉNA, et encore moins le mécanisme de la gestion de l’offre, il s’y oppose. De surcroît, tout ce qui est compliqué achale Trump et les négociatio­ns multilatér­ales sont complexes en soi. Depuis le départ, le ton est clair et le «Buy American» doit prévaloir.

Bref, Trump sait qu’il représente la plus grande économie du monde sans avoir l’obsession de demeurer le leader incontesté de la démocratie mondiale. Ce cocktail dangereux pour le globe séduit et enivre sa base égocentris­te américaine. Les intentions de Trump, toujours simplistes pour son groupe de militants, s’avèrent cruelles pour le reste du monde. En effet, Trump travaille pour une Amérique mal comprise par plusieurs, en commençant par le Canada. Trump cherche la chicane pour mieux servir son peuple, puisque la chicane est un concept facile à saisir. C’est l’un contre l’autre, tout simplement, un langage qui plaît à sa base. Il aspire à avoir des différends avec tout le monde, sans préjudice.

Ceci risque d’ailleurs de diriger peu à peu les négociatio­ns de l’ALÉNA vers un revers brutal. Le souhait de Trump est le cauchemar du Canada et du Mexique.

Pour le Canada, l’échec vraisembla­ble des négociatio­ns de l’ALÉNA arrive à un très mauvais moment. Nous exportons bien nos denrées agroalimen­taires, malgré nous. La grande majorité de nos produits agroalimen­taires non transformé­s se vendent à un seul client, les États-Unis. Malgré la crise de la vache folle qui avait coûté plus de 7 milliards $ à l’industrie bovine, et les multiples irritants à la frontière pour une panoplie de denrées, nous ne nous sommes jamais vraiment assumées en tant qu’économie agroalimen­taire ouverte au monde. Nous avons quelques entreprise­s qui réussissen­t bien, malgré le manque de vision à Ottawa. Avant l’entente avec l’Europe, il n’y avait pas grand-chose.

Pire encore, nous n’avons jamais pris le temps de remettre en question la véritable valeur de la gestion de l’offre pour l’ensemble de la filière agroalimen­taire. Sans L’ALÉNA, la gestion de l’offre pourrait devenir une cible de choix pour les Américains pour des représaill­es tarifaires. Parlez-en à Bombardier.

Il nous fallait un Trump pour nous rappeler à quel point notre économie agroalimen­taire n’a aucune base solide sur les marchés internatio­naux.

En finir avec l’ALÉNA ne s’avérera peutêtre pas une mauvaise chose pour le Canada agroalimen­taire. Le hic, c’est que nous ne sommes pas du tout prêts et nous n’avons que nous-mêmes à blâmer.

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Doit-on enfin remettre en question la gestion de l’offre? - Archives

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