Démocratie municipale
Avec l’assemblée générale annuelle de l’Association francophone des municipalités du N.-B. qui vient de se terminer, le moment est opportun pour parler un peu de démocratie municipale, pourquoi celle-ci est importante et pourquoi il faut la protéger.
La vie au sein d’un conseil municipal est rarement un fleuve tranquille, même si toutes les disputes et les controverses ne font pas la une des journaux et des bulletins télévisés. Parfois, les élus réussissent à poser le couvercle sur la marmite avant qu’elle ne déborde. D’autres fois, l’enjeu est tout simplement trop local ou pas suffisamment important pour qu’un journaliste ne s’y intéresse.
Il arrive par contre des événements, ici et là, qui nous rappellent l’importance de garder l’oeil ouvert.
À Tracadie, le conseil municipal s’est retrouvé sous la lumière des projecteurs en raison d’un arrêté municipal adopté récemment qui interdisait aux journalistes d’enregistrer, de filmer ou de prendre des photos pendant la période des questions, à la fin de l’assemblée publique.
Il n’y a pas de complot à chercher dans cette histoire. Il s’agit clairement d’un cas où un ou des citoyens ont exprimé leur malaise à parler devant des caméras de télévision. Il est vrai qu’il peut être intimidant de prendre la parole devant une foule, et encore plus quand un appareil photo ou une caméra se retrouve à quelques mètres de votre visage.
D’où la surprise du maire Denis Losier, quand la nouvelle est soudainement devenue un enjeu provincial. L’Association acadienne des journalistes, qui défend le droit à une presse libre en Acadie, s’en est mêlé, qualifiant la mesure d’antidémocratique.
Le conseil municipal a réagi de la bonne façon en revenant sur sa décision. La période des questions pourra dorénavant aussi être filmée, quoiqu’un citoyen qui n’est pas à l’aise de prendre la parole devant un journaliste conserve le droit de «demander» de ne pas se faire enregistrer. On verra comment cette exception sera gérée d’une assemblée à l’autre.
Cette controverse peut à la base sembler n’être que de la cuisine politico-médiatique. Elle touche toutefois à la base même de la démocratie municipale.
Les périodes des questions font partie intégrante des assemblées municipales. Et il arrive parfois qu’elles soient la partie la plus importante de la réunion.
Le cas de Saint-André est un exemple probant. Le maire a démissionné cet été à la suite d’une série de controverses, y compris la démission de plusieurs conseillers.
Quelques mois auparavant, il avait dirigé une réunion particulièrement houleuse. Des dizaines de citoyens s’étaient présentés afin de protester contre le congédiement du chef pompier. Les appels à la démission s’étaient multipliés. Imaginez si les journalistes s’étaient vus interdire d’effectuer convenablement leur travail sous prétexte que des gens ne sont pas à l’aise de prendre la parole devant eux.
L’histoire de Tracadie rappelle aussi celle de Shippagan. En 2013, la Ville s’était donné le droit d’interdire en tout temps l’utilisation de caméras ou d’enregistreuses pendant ses assemblées. Elle avait été encore plus loin en forçant Télévision Rogers, qui filmait l’intégralité des réunions, à censurer certains passages qui faisaient moins l’affaire des élus.
Les journalistes couvrent la nouvelle et font le lien avec les citoyens qui veulent se tenir informés des enjeux qui les touchent de près ou de loin. C’est une responsabilité importante. On ne peut pas leur imposer des entraves qui ne sont pas raisonnables.
La transparence est le meilleur rempart contre les dérapages. Nous en sommes témoins ces jours-ci à Beaubassin-Est, où des conseillers semblent vouloir régler leurs comptes entre eux.
Le conseil menace d’expulser l’un des leurs à moins qu’il ne s’excuse publiquement. S’excuser de quoi, précisément? On ne le sait pas.
Le conseiller Michel E. Gaudet aurait tenu un langage abusif pendant une réunion de travail où aucun journaliste n’était sur place et dont il n’existe aucun procès verbal. Avant de statuer sur son cas, le reste du conseil a tenu une nouvelle réunion à son sujet, en son absence et à huis clos.
Journalistes et citoyens sont ainsi tenus dans le noir. Impossible de savoir exactement ce qui s’est produit, ni quels sont les arguments qui ont poussé les conseillers, au cours de leurs délibérations secrètes, à prendre une décision aussi extraordinaire. On nous demande d’accorder notre pleine confiance au conseil municipal quand celui-ci menace à mots couverts d’expulser une personne qui a été dûment élue par la population et qui en prime songe aussi à éliminer les périodes de questions.
Démocratie et transparence vont de pair. Ce n’est pas le cas des entraves au travail journalistique ni des réunions à huis clos pour un oui ou pour un non. Les décisions importantes doivent être prises en public, devant la population.