Le «zéro risque»
L’enjeu des commotions cérébrales, spécialement chez des jeunes sportifs en milieu scolaire, est certes pris de plus en plus au sérieux. Mais pourrons-nous l’éradiquer?
À la base, le concept du «zéro risque» n’existe pas dans le sport. Toute activité amène avec elle une possibilité de blessure. Cependant, vous conviendrez que la question des dommages au cerveau à la suite d’un impact violent est un sujet pas mal moins chaud si vous pratiquez les fléchettes, les quilles ou la course à pied que si on analyse les sports de contact, comme le hockey, le rugby et, dans le cas qui nous préoccupe spécialement cette semaine, le football.
D’abord, l’entraîneur des Olympiens de l’école L’Odyssée de Moncton a posé un bon geste en retirant ses joueurs du match contre les Titans de Tantramar High School. Après tout, personne ne joue pour la coupe Grey ou le Super Bowl, même si tout le monde aime gagner. La santé doit primer sur la performance, spécialement lorsque nous avons affaire à des jeunes adolescents qui pratiquent le sport à travers un milieu d’apprentissage.
L’Association du sport interscolaire du N.-B. y est allée d’un sage jugement en ne punissant pas l’équipe d’avoir cessé la rencontre à la demie, en raison de toutes ces blessures.
Cependant, nous pouvons nous poser cette question légitime: pourquoi avoir attendu d’avoir autant de joueurs blessés à la tête avant d’arrêter la partie?
Trois incidents auraient déjà été énormes. Cinq, encore pire. Mais neuf? Neuf cerveaux en croissance de jeunes hommes ébranlés à divers degrés par de violents chocs à la tête face à des adversaires visiblement trop forts!
Malheureusement, on a rapidement imposé le silence radio à l’équipe des Olympiens sur ordre de la direction du District scolaire francophone Sud. Donc, impossible d’obtenir une réponse là-dessus. Cela laisse place aux spéculations de toutes sortes, comme celle qui sous-entend que le retrait de l’école L’Odyssée de ce match vient surtout du fait qu’il manquait de joueurs disponibles et qu’il n’en faudrait pas beaucoup plus pour parler de négligence. Est-ce possible?
Ce même District scolaire francophone Sud qui, pas plus tard qu’une semaine auparavant,
a démontré qu’il prenait la situation en mains, en proposant de nouvelles directives concernant la détection et le suivi médicale face aux commotions cérébrales.
D’un côté, il faut en parler. De l’autre, on impose le bâillon. Allez comprendre… Merci pour la transparence! Chose certaine, il n’a pas fallu attendre très longtemps pour mettre cette nouvelle politique à l’épreuve.
***** Ces incidents ont suscité de nombreuses réactions. C’est normal, à l’ère des réseaux sociaux qui se nourrissent allègrement de tout événement controversé.
Ces réactions sont allées aux antipodes. Certains ont demandé le bannissement pur et simple des sports de contact au niveau scolaire, étant donné qu’on met en danger le développement de cerveaux en pleine formation.
D’autres ont cherché à banaliser ce qui s’est passé, sous prétexte qu’on forme des hommes en se comportant comme des hommes sur le terrain, c’est-à-dire donner des coups et à en recevoir.
La solution se trouve quelque part entre ces deux extrêmes. Mais où exactement?
D’abord, devrait-on permettre à des recrues de 9e année de se retrouver sur la même aire de jeu que des vétérans de 12e année? Nous pensons que non, spécialement dans des sports où le physique et la technique de contact ont une aussi grande importance.
D’ailleurs, Football NB a adopté ce principe en limitant à deux ans la différence d’âge des joueurs, mais étrangement, il ne s’applique pas au niveau scolaire. Il y a là matière à réflexion.
On pourrait initier les jeunes de 9e et de 10e année au football par l’entremise du flag-football, un sport moins à risque de blessures suivant un contact. On y ajouterait toute l’information et la formation nécessaires afin de les préparer au vrai football s’ils veulent y jouer en 11e et en 12e année.
Évidemment, cela demanderait une gestion additionnelle dans les écoles, mais ce serait une belle approche, à la fois responsable et sécuritaire, si ces mêmes écoles veulent investir dans des équipes de football représentatives avec des élèves mieux conscientisés au sport et à ses conséquences en 11e et en 12e année.
Il y a bien entendu l’application stricte des règlements touchant les coups à la tête de la part des officiels.
Il faut aussi intensifier l’éducation chez les jeunes et leurs parents, mais aussi auprès des entraîneurs. Car certains travaillent encore selon cette culture archaïque qu’il faut d’abord plaquer pour intimider, pour faire mal. Nous ne sommes plus à l’âge des dinosaures!
Nous devons également exiger des suivis médicaux aigus chez les victimes, sans oublier des rapports plus complets de la part des intervenants concernés. Pour chaque commotion détectée et soignée, combien passe encore sous le radar?
Nous pourrions également proposer qu’un jeune ayant subi une commotion cérébrale soit retiré du jeu pour une période prolongée minimale, quitte à lui faire manquer une saison ou même une carrière.
***** Chaque fois qu’un jeune doit quitter le jeu en raison d’une commotion cérébrale, il met en danger non seulement son cerveau, mais aussi son avenir scolaire et professionnel pendant sa période de convalescence qui peut parfois s’avérer très longue. Et soyons clairs: il met en danger sa vie.
Les études le démontrent clairement: après une première commotion, un individu est 10 fois plus susceptible d’en subir une autre et, à compter d’une troisième, on parle de dommages irréparables et de possibles développements de maladies encéphalopathiques chroniques graves.
Aujourd’hui, les sports de contact au niveau scolaire viennent d’encaisser ce qu’ils cherchent à éviter: créer la commotion qui va probablement convaincre bien des parents de retirer leurs jeunes de ces disciplines qui ne sont pas à «zéro risque».
On dit souvent que la santé de nos élèves passe avant la performance sur le terrain. Il ne faut pas seulement le dire, il faut le démontrer, mais la situation actuelle nous indique que nous ne faisons que trop souvent jouer au yo-yo avec nos jeunes cerveaux. C’est inquiétant.
Et troublant.