Le dernier mot au patron
L’appui de M. Bourque aux patients du Restigouche et de Victoria est sans doute sincère. Nos politiciens ne prennent pas toutes leurs décisions en fonction des prochaines élections.
La volonté du Réseau de santé Vitalité de cesser d’offrir des services de chimiothérapie dans ses hôpitaux de Grand-Sault et de Saint-Quentin est à la fois une décision administrative pleine de sens, une tragédie pour les personnes touchées et une bénédiction pour le ministre de la Santé Benoit Bourque.
L’annonce du réseau Vitalité a eu l’effet d’une bombe dans les deux communautés visées, et pour cause. Nous touchons à un sujet très sensible, soit les soins aux personnes atteintes du cancer. Ces patients, qui voient leur vie chamboulée à la suite d’un diagnostic, devront désormais rouler plusieurs dizaines de kilomètres supplémentaires afin de subir la chimiothérapie à l’hôpital d’Edmundston ou à celui de Campbellton.
Notons que la mesure ne touche pas ceux et celles qui suivent déjà des traitements à Saint-Quentin ou à Grand-Sault. Ce sont les nouveaux patients cancéreux qui devront se résoudre à voyager sur de plus longues distances.
Sans surprise, cela ne passe pas comme une lettre à la poste. La mairesse de Saint-Quentin, Nicole Somers, parle d’une «attaque contre le système de santé». Son homologue de Kedgwick, Janice Savoie, demande à Vitalité de faire «preuve d’un peu d’humanité».
La régie se défend en disant qu’un trop petit nombre de traitements de chimio sont offerts dans les deux hôpitaux en question. Elle a administré 43 traitements à Saint-Quentin et 163 à Grand-Sault en un an.
Aux yeux de la direction du réseau, c’est trop peu pour justifier les coûts et les casse-têtes logistiques nécessaires pour offrir le service (transport des médicaments, certification des infirmières, formation spécialisée, etc.).
La décision se justifie du point de vue administratif et celui de l’utilisation responsable des fonds publics.
L’ennui pour la régie, c’est que derrière chaque statistique, chaque cas et chaque traitement se cache une personne qui lutte pour sa vie. Il faut avoir été victime du cancer ou avoir connu quelqu’un atteint de cette terrible maladie pour savoir à quel point voyager sur de grandes distances est une épreuve pénible pour un patient qui vient de se faire injecter de la chimiothérapie.
Nous ne parlons pas ici d’ermites qui ont fait le choix de vivre au milieu de nulle part, loin de tout établissement de santé. Les hôpitaux sont là, tout près de leur domicile. Ils offrent déjà le traitement. Et voici qu’on le leur arrache.
Leur désarroi est tout à fait compréhensible. Et justifié.
C’est dans ce contexte qu’est intervenu Benoît Bourque. Le ministre de la Santé, nouvellement en poste, a fait clairement savoir son mécontentement face aux récents événements. Il menace de prendre des mesures afin de forcer la main de Vitalité.
Il faut être prudent en analysant l’action du ministre sous le prisme de la politique. L’appui de M. Bourque aux patients du Restigouche et de Victoria est sans doute sincère. Nos politiciens ne prennent pas toutes leurs décisions en fonction des prochaines élections.
Néanmoins, nous ne pouvons ignorer que cette crise survient à un bon moment pour le ministre, du point de vue strictement politique. Celui-ci est pris depuis sa nomination dans une épreuve de force avec le Réseau de santé Vitalité.
En effet, la direction de la régie ne se gêne pas depuis des semaines à critiquer la décision du gouvernement de transférer au secteur privé la gestion du Programme extra-mural. Cela, au point où le ministre Bourque n’a pas hésité à rappeler qui est le patron, lors d’une récente rencontre éditoriale avec l’Acadie Nouvelle.
Dans le tribunal de l’opinion publique, le Réseau de santé Vitalité jouit d’un préjugé favorable, particulièrement en ce qui a trait au débat en cours à propos du Programme extra-mural.
Cette fois, les rôles sont inversés. Le réseau Vitalité doit justifier une mesure impopulaire, alors que le ministre se porte à la défense du système de santé. M. Bourque disait d’abord être contre la décision, mais qu’il n’était pas dans ses pouvoirs d’empêcher sa mise en oeuvre. Une semaine plus tard, son discours a changé. Il s’accorde désormais un droit de veto.
En prime, Benoit Bourque pourra réitérer, cette fois par ses actions, que la décision finale lui revient. Difficile, en effet, de dire que le ministre n’a pas un mot à dire dans la façon de gérer le Programme extra-mural, mais d’ensuite applaudir quand il intervient pour sauver des traitements de chimiothérapie dans deux petits hôpitaux du nord de la province.
Le Réseau de santé Vitalité ne peut pas sortir vainqueur de cet affrontement. Il ne lui reste plus qu’à examiner de nouvelles options afin de dégager un compromis qui sera acceptable pour la population et le ministre.
Une rencontre est prévue lundi entre les représentants de Vitalité et ceux de Saint-Quentin et de Kedgwick. Le moment sera bien choisi pour la direction du réseau de démontrer qu’elle est prête à mettre de l’eau dans son vin, avant de se faire imposer la marche à suivre à partir de Fredericton.