Ottawa se lancera-t-il dans la lutte contre le projet de loi 62?
On demandera bientôt au Québec de suspendre le projet de loi 62 exigeant que tout service provincial ou municipal soit offert et reçu à visage découvert.
La loi sur la neutralité religieuse, qui touche particulièrement la minorité musulmane portant la burqa ou le niqab couvrant le visage, vient d’être adoptée. Ceux qui s’opposent à cette loi veulent mettre de côté certains des articles les plus controversés jusqu’à ce que leur constitutionnalité soit validée en cour.
Si le juge accepte la demande, l’interdiction au Québec pourrait se trouver en suspens pendant des années. Même les dossiers politiques avancent plus rapidement que ceux qui passent par le système judiciaire au Canada.
Par exemple, plus d’un an après les premières oppositions à la loi fédérale sur le suicide assisté par un médecin, il reste toujours des étapes juridiques préliminaires à compléter.
Justin Trudeau pourrait faire bouger les choses en laissant la loi québécoise dans les mains de la Cour suprême. Mais si le gouvernement fédéral prend en charge le dossier, difficile à dire s’il apaiserait les tensions ou compliquerait davantage un débat déjà controversé.
Ce n’est pas inhabituel de voir un affrontement entre Ottawa et une province à la Cour suprême du Canada. Stephen Harper y a perdu d’importantes luttes fédérales-provinciales pendant son règne. On pense notamment à son plan de réformer le Sénat pour que les sénateurs soient élus et non pas nommés.
Mais dans le présent cas, une assemblée législative a adopté une loi qui s’insère dans un de ses champs de compétence. Ce serait alors un geste agressif de la part du gouvernement fédéral de poursuivre la province en justice, surtout si on pense à quel point l’Assemblée nationale lui envie son autonomie.
Pour mettre la situation en perspective, dans le cas de la loi 101, dans les années 1970 et 1980, Ottawa s’est contenté de jouer un rôle de soutien juridique.
Le calendrier pose problème aussi. La loi ne survivra peut-être pas longtemps, étant donné l’élection imminente au Québec et le fait que les deux principaux partis d’opposition s’engagent à la remplacer.
Or, des sources fédérales affirment que les avocats du gouvernement fédéral ont initialement suggéré à Justin Trudeau que la loi québécoise ne peut être contestée en vertu de la Charte. Il semble, du moins, qu’il s’agit d’une question de débat pour le ministère de la Justice fédérale.
Malgré certains commentaires du premier ministre, le gouvernement fédéral ne doit pas défendre par défaut au tribunal les droits garantis par la Charte ou lutter pour les droits des minorités – religieux ou autres.
Au contraire: sous des premiers ministres libéraux comme conservateurs, le gouvernement fédéral s’est régulièrement prononcé contre certaines des contestations les plus déterminantes concernant la Charte – et a régulièrement perdu.
Pensons aux droits à l’avortement, au mariage homosexuel et, plus récemment, au suicide assisté par un médecin.
Sous Trudeau père, les avocats du gouvernement fédéral ont soutenu (sans succès) que le droit en vertu de la Charte de recevoir son éducation scolaire dans une des langues officielles ne donnait pas le droit aux communautés linguistiques en situation minoritaire d’avoir leurs propres écoles.
Or, depuis le début du débat sur la loi québécoise, on voit une incohérence entre les résultats des sondages et les résultats des élections.
Prenons comme exemple l’élection municipale serrée à Montréal. La question du visage découvert n’y a pas été une pomme de discorde, car ni Valérie Plante ni Denis Coderre n’a voulu appliquer la loi 62. Selon les sondages, tous les deux se trouvaient apparemment du mauvais côté d’une «question gagnante».
La semaine dernière, le caucus du Parti québécois a rechigné à l’idée de son chef, Jean-François Lisée, d’élaborer une proposition plus restrictive sur la neutralité religieuse avant la fin de l’année. Le PQ avait mis en oeuvre le même plan d’attaque lors de la campagne électorale de 2014 et s’était retrouvé par la suite sur les bancs de l’opposition.
Entre-temps, Trudeau – qui ne cache pas son opposition à toute variation d’une interdiction sur le niqab –, mène dans les intentions de vote dans sa province natale.
Ce n’est pas la première fois que les sondages et les tendances au bureau de scrutin se contredisent.
Depuis des années, l’appui pour la souveraineté manifesté dans les sondages ne se traduit pas en votes pour les partis québécois pro-indépendance. Et c’est parce que la réponse dans les sondages qui importe le plus est celle qui démontre qu’une solide majorité ne veut pas réexaminer la question.
Dans le même ordre d’idées, la question sur la neutralité religieuse n’influencera pas un nombre important d’électeurs au bureau de scrutin – même si elle suscite des réactions tout à fait en faveur de mesures coercitives.
Mais le principe que l’Assemblée nationale ne fonctionne pas sous la supervision d’un gouvernement fédéral relève d’une catégorie tout à fait différente et infiniment plus consensuelle.