Les élus que nous méritons
Ce n’est pas tous les jours que l’on voit une conseillère municipale démissionner avec autant de fracas.
Anne-Marie Jourdain est bien connue à Bas-Caraquet. Avec son époux, Dr Gilbert Blanchard, elle est derrière la plupart des initiatives qui ont vu le jour dans le village au cours des dernières années. L’Espace Croissance, le foyer de soins Aux Douces Marées, la polyclinique Isabelle-sur-Mer, le café-restaurant Stella-Maris et le Comité de sauvegarde de l’église de Bas-Caraquet sont tous des exemples de réussites dont ils peuvent s’approprier une partie ou la totalité du crédit.
Bref, si ça bouge dans ce village de la Péninsule acadienne, c’est beaucoup grâce à leur vision, cela sans rien vouloir enlever aux bénévoles, aux idéateurs et aux entrepreneurs que compte le village.
Ainsi, quand Mme Jourdain affirme que le conseil de Bas-Caraquet est sclérosé par la présence d’élus municipaux en place depuis trop longtemps, qui siègent sans apporter d’idées et qui ne s’impliquent pas en dehors des réunions, il est difficile de l’ignorer. Cette citoyenne sait clairement comment faire avancer les projets qui lui tiennent à coeur et qui profitent à la communauté.
Ses critiques sont-elles justifiées? Il est impossible de le déterminer avec certitude. Les journalistes et les citoyens n’ont pas le privilège d’assister aux réunions de travail du conseil et ne sont pas témoins des discussions privées qui mènent aux décisions ou à l’absence de celles-ci.
Néanmoins, de voir une femme avec une telle feuille de route identifier ses anciens collègues du conseil comme étant «en manque de leadership» et souffrant d’une «absence de revendications vers les paliers gouvernementaux supérieurs» devrait, dans un monde idéal, avoir l’effet d’un signal d’alarme auprès de la population. Et surtout, inciter le conseil de Bas-Caraquet à faire un examen de conscience.
En fait, le débat que soulève la conseillère municipale démissionnaire est beaucoup plus large. Bas-Caraquet n’est pas la seule communauté à souffrir des tares qui lui sont (à tort ou à raison) attribuées.
Le Nouveau-Brunswick en général et l’Acadie en particulier compte sur une multitude de petits villages à la population vieillissante et où l’intérêt pour les affaires municipales est nul, sauf lors de la saison des impôts fonciers.
Dans plusieurs conseils, le leadership provient surtout du maire ou de la mairesse ainsi que du directeur général. Des conseillers sont bien peu outillés pour faire face aux défis de leur communauté et ne semblent faire qu’acte de présence.
Des élus sont en poste depuis des décennies. Certains en raison de leur travail exceptionnel. D’autres parce que personne n’est intéressé à prendre leur place.
Tout cela serait anecdotique, si ce n’était des conséquences. Dans sa lettre à ses concitoyens, Anne-Marie Jourdain accuse les conseillers de son village d’avoir fait preuve d’inaction pendant la crise du verglas, au début de l’année. Plusieurs d’entre eux auraient affirmé que leur rôle ne comprend pas un «mandat humanitaire». Elle affirme qu’aucun plan d’urgence n’a depuis été élaboré.
Encore une fois, les questions soulevées par Mme Jourdain mériteraient d’être posées dans les autres communautés. Quelles municipalités, en particulier parmi les plus petites, sont aujourd’hui mieux préparées qu’il y a un an à affronter une crise météorologique? La réponse risque de nous surprendre... et de nous décevoir.
La controverse nous permet aussi de soulever le voile sur la dictature de l’impôt foncier. Dans de nombreux conseils municipaux, la priorité est de boucler le budget sans augmenter les taxes. Ceux qui réussissent peuvent se péter les bretelles. Pendant ce temps, peu de gens s’interrogent sur les projets qui ne verront pas le jour par manque de fonds ou d’intérêt, contribuant du même coup à l’état de stagnation du village.
Les citoyens ont leur part de responsabilités. Combien d’assemblées publiques ont lieu devant une rangée de sièges vides chaque mois? Combien de citoyens savent de quoi discutent leurs représentants lors de ces assemblées, pendant les réunions de travail et dans les comités régionaux? Ou peuvent nommer les membres de leur conseil municipal?
Le faible taux de participation aux élections municipales est symptomatique du désintérêt de la population. Ceux qui se présentent dans l’isoloir finissent souvent par voter par habitude pour le conseiller sortant, sans avoir la moindre idée s’il est digne de leur confiance.
Lors des élections de 2016, 49 maires et 111 conseillers ont été élus sans opposition (un représentant municipal sur cinq!). Dans certains villages, il n’y avait aucune lutte. Six postes dans cinq municipalités sont même demeurés vacants. Près d’un citoyen néobrunswickois sur deux en âge de voter est resté à la maison plutôt que de décider qui géreront leur municipalité. Le problème, il est là. Alors que des conseils municipaux sont dirigés avec dynamisme par des gens qui ont à coeur leur communauté, d’autres sont ralentis par la présence de trop de bois mort. Dans un cas comme dans l’autre, nous avons les élus que nous méritons.