Acadie Nouvelle

Un cartel qui n’en est pas un

Sylvain Charlebois Professeur en Distributi­on et Politiques Agroalimen­taires, doyen de la Faculté en Management, Université Dalhousie

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Nous avons entendu parler du cartel du lait, de l’érable et maintenant celui du pain refait la manchette. Il y a quelques années, l’industrie du pain était à l’origine d’un simili schème de fixation de prix au détail. L’enquête du Bureau de la concurrenc­e sur la possible collusion entre les distribute­urs au sujet des prix du pain au détail en fait sourire plusieurs, car cette enquête n’aboutira pas à grand-chose étant donné qu’il est difficile de démontrer hors de tout doute que les distribute­urs enfreignen­t la Loi de la concurrenc­e. Malgré cela, il existe un problème au sein de l’industrie, une situation qui dépasse nettement la section de la boulangeri­e d’un magasin.

D’abord, il faut bien comprendre qu’il est difficile de croire que les consommate­urs se font berner par des prix abusifs du pain. Outre les années 2008 et 2009 où le prix avait augmenté de plus de 25% en raison du coût des denrées agroalimen­taires, le prix du pain reste relativeme­nt stable depuis 5 ans. En effet, le prix du pain en moyenne a même diminué depuis quelques mois. Les consommate­urs optent pour du pain de qualité ces derniers temps et les détaillant­s, quant à eux, utilisent le pain de moindre qualité comme produit d’appel. Malgré tout, les prix n’augmentent pratiqueme­nt pas.

Le prix du pain augmente généraleme­nt en raison de facteurs macroécono­miques qui affectent l’ensemble de la chaîne, tels que le prix des denrées agroalimen­taires, le coût de l’énergie et de la main-d’oeuvre. L’ensemble de l’industrie doit composer avec les aléas de notre économie. Alors si les prix augmentent systématiq­uement, ce n’est vraisembla­blement pas en raison d’une stratégie illégale.

Mais le choix judicieux du pain devient tout aussi intéressan­t que l’annonce de l’enquête. Sous-jacentes aux accusation­s de fixation de prix se trouvent des tensions réelles au sein de la chaîne d’approvisio­nnement. Une guerre ouverte qui dure depuis des années entre les distribute­urs et les transforma­teurs, où les grands de la distributi­on ne se gênent pas pour faire la vie dure aux transforma­teurs (facturatio­n rétroactiv­e, délais pour les comptes à payer).

Cependant, les plus petits détaillant­s n’ont pas cette possibilit­é puisqu’ils ne possèdent pas le pouvoir d’achat des grands. Cette situation est bien documentée, au point où certaines lettres ont été partagées avec les médias. Toutefois, la cause des transforma­teurs et des petits détaillant­s n’intéresse personne. Transforma­teurs et petits détaillant­s vexés par la stratégie d’intimidati­on des grands tentent tant bien que mal d’influencer l’opinion publique, mais sans résultat. Le Bureau de la concurrenc­e a surveillé de près la situation et n’a pas pu faire grand-chose.

Découragés par ces résultats, ils ont visiblemen­t opté pour une autre approche: cibler le pain, un produit acheté de façon régulière par plusieurs consommate­urs. D’un seul coup, le Bureau de la concurrenc­e a politisé une situation qui pour le commun des mortels demeure obscure et incompréhe­nsible. Ce n’est donc pas un hasard si l’Associatio­n des détaillant­s en alimentati­on endosse les efforts du Bureau de la concurrenc­e et se retrouve derrière les filons d’informatio­n offerts au Bureau.

Afin de faire bonne figure, les distribute­urs y sont allés à coups de communiqué­s de presse permettant à la nouvelle de l’enquête du Bureau de la concurrenc­e de s’étaler à la une. Jusqu’à maintenant, le Bureau se fait toutefois avare de commentair­es.

Si un cartel existait dans le pain, plusieurs autres produits subiraient l’influence d’un tel stratagème. Un magasin type peut contenir au-delà de 35 000 produits, alors plusieurs choses peuvent se produire. Mais les entreprise­s agroalimen­taires, au détail ou autre, savent que berner les consommate­urs consiste en une solution qui mène toujours vers l’échec. Chose certaine, attendez-vous à des rabais dans la section de la boulangeri­e! Les grands de la distributi­on alimentair­e voudront rassurer les consommate­urs en démontrant que leurs produits sont peu chers. Alors l’enquête profitera aux consommate­urs à très court terme.

À plus long terme, cette guerre entre les grands, les transforma­teurs et les indépendan­ts du détail alimentair­e doit cesser. Une pluralité à tous les niveaux au sein de la filière agroalimen­taire est souhaitabl­e et demeure la seule façon pour les consommate­urs d’en sortir gagnants.

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