Acadie Nouvelle

Un commissair­e parfait... pour le gouverneme­nt

- Francois Gravel francois.gravel@acadienouv­elle.com

Le gouverneme­nt Trudeau a fait son choix. Le recteur de l’Université de Moncton, Raymond Théberge, deviendra en principe le prochain commissair­e aux langues officielle­s. Une candidatur­e parfaite… si l’objectif est d’avoir en poste une personne qui ne fera pas trop de vagues et qui ne mettra pas le fédéral dans l’embarras.

La nomination de Raymond Théberge n’est pas encore officialis­ée. Elle doit être entérinée par le Parlement. À moins d’un changement de cap de dernière minute ou de la découverte d’un improbable squelette dans le placard du candidat, cela ne devrait toutefois être qu’une formalité.

Raymond Théberge est-il le candidat idéal pour le commissari­at? Rien n’est moins sûr, si on se fie à son parcours.

À la base, il possède pourtant le curriculum vitae pour occuper le poste. Il connaît bien les communauté­s francophon­es. FrancoMani­tobain, il a été sous-ministre adjoint à la Division de l’éducation en langue française en Ontario, puis recteur en Acadie.

Personne ne peut lui nier son attachemen­t aux communauté­s francophon­es minoritair­es. Une grande partie de sa vie profession­nelle a été consacrée à leur épanouisse­ment.

Le problème est que Raymond Théberge est un fonctionna­ire et un gestionnai­re de carrière. Sa personnali­té est à des années-lumière de celle des deux derniers commissair­es fédéraux, Dyane Adams et Graham Fraser. Nous parlons ici de deux personnes qui n’avaient pas peur de ruer dans les brancards et qui ne craignaien­t pas d’aller au front.

Ils ne se contentaie­nt pas de rédiger des rapports qui étaient ensuite ignorés par le ministre en place. Au contraire, ils prenaient tous les moyens à leur dispositio­n pour forcer le gouverneme­nt à respecter ses obligation­s en matière de langues officielle­s, quitte à se faire des ennemis en chemin. Raymond Théberge est tout sauf cela. Embauché à titre de recteur de l’Université de Moncton en 2012, il a succédé à Yvon Fontaine, qui n’hésitait pas à défoncer des portes et dont le règne a été ponctué de grandes réalisatio­ns (pensez au centre de formation médicale), mais aussi à des controvers­es (souvenez-vous de la saga de l’embauche d’une vice-rectrice).

Raymond Théberge lui a un peu succédé par défaut.

La réputation de l’Université de Moncton était alors à son plus bas, si bien qu’il est permis de croire que de nombreux candidats de qualité ont préféré passer leur tour plutôt que de plonger le bras dans ce qui était considéré comme un panier de crabes. L’autre finaliste, Marie-Josée Berger, traînait derrière elle une triste réputation.

Durant son règne, Raymond Théberge s’est forgé l’image d’une personne qui fuit la controvers­e et qui recherche le consensus. Il n’a certaineme­nt pas nui à l’institutio­n qu’il dirige, mais on ne peut pas dire non plus qu’il a laissé sa marque.

Depuis son arrivée au pouvoir en 2014, le gouverneme­nt de Brian Gallant a imposé des conditions très difficiles aux université­s publiques. Il a imposé des gels de droits de scolarité ainsi que des subvention­s, avant d’augmenter timidement ses versements. Il a aussi resserré son contrôle.

M. Théberge a critiqué ces mesures, mais n’est pas monté aux barricades non plus.

Bref, il n’est pas le genre à brasser la cage. C’est peut-être ce que cherchait l’Université de Moncton après les années Fontaine. Mais le poste de commissair­e aux langues officielle­s devrait revenir à quelqu’un capable d’être un véritable chien de garde des droits des francophon­es. Un pitbull, en quelque sorte.

Il suffit de regarder l’identité de certaines personnes qui ont exprimé leur intérêt pour le poste ou dont le nom a circulé. L’avocat Michel Doucet, Marie-Claude Rioux (de la Fédération acadienne de la Nouvelle-Écosse), la commissair­e aux langues officielle­s du N.-B. Katherine d’Entremont et le commissair­e aux services en français de l’Ontario Me François Boileau sont tous des gens qui ne craignent pas de déplacer des montagnes.

La déterminat­ion de Me Doucet, par exemple, a fini par convaincre en 2016 la CBC de mettre fin à l’anonymat qui faisait des forums de discussion de son site web un antre où les francophob­es s’en donnaient à coeur joie. Il a entrepris ce combat seul. En fin de compte, il a inspiré plus de 120 personnali­tés à joindre sa cause et à cosigner sa plainte, forçant éventuelle­ment CBC à plier.

Ce n’est pas du tout le style de Raymond Théberge.

Il faut tout de même donner la chance au coureur. Libéré du carcan des institutio­ns, peut-être nous dévoilera-t-il une partie méconnue de sa personnali­té.

Néanmoins, nous sommes sceptiques. En M. Théberge, le gouverneme­nt Trudeau donne l’impression de miser sur un commissair­e qui montrera moins les dents que ses prédécesse­urs. Et ce n’est pas ce dont les francophon­es de ce pays ont besoin.

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