Acadie Nouvelle

Le «fitbitisat­ion» alimentair­e et la livraison à domicile

- Sylvain Charlebois

La livraison à domicile dans le domaine alimentair­e n’est pas novatrice en soi. En effet, plusieurs se rappellent les livreurs de lait ou de pain qui sillonnaie­nt les rues de nos villes et villages. Mais avec Amazon qui se pointe à l’horizon, le secteur canadien se mobilise et les choses risquent de changer. Loblaw-Provigo vient d’annoncer que l’entreprise de Brampton se consacrera dorénavant à la livraison à domicile, de l’Atlantique au Pacifique. Une telle décision représente un virage majeur pour le numéro un du détail alimentair­e au pays.

Depuis plusieurs années, Loblaw-Provigo, ainsi que les autres distribute­urs d’importance tels que Sobeys-IGA et Métro, ont investi énormément afin d’offrir à leur clientèle une expérience unique lors des visites en magasin. Loblaw-Provigo a même osé convertir de manière spectacula­ire l’ancien Maple Leaf Gardens du centre-ville de Toronto en une véritable cathédrale alimentair­e. Traditionn­ellement, partout au pays, les grands de l’alimentati­on tenaient à nous voir en magasin afin d’éveiller notre curiosité, de nous étonner, et surtout, de nous inciter à dépenser davantage.

L’achat en ligne et la livraison à domicile créaient un malaise au sein de l’establishm­ent agroalimen­taire. Pensez-y, l’achat par impulsion et la stimulatio­n des sens devant un écran d’ordinateur ne s’activent pas aussi facilement qu’en magasin. De plus, plusieurs croyaient que le monde virtuel viderait littéralem­ent les magasins et permettrai­t aux consommate­urs d’accéder à plus d’informatio­ns. Bien sûr, l’achat en ligne permet à l’internaute d’être mieux informé et certes, plus rationnel.

Mais Amazon force les grands de la distributi­on à adopter une stratégie défensive. L’achat de Whole Foods par Amazon cet été dérange beaucoup. Amazon maîtrise bien le domaine virtuel et n’a pas vraiment besoin de faire un profit pour vendre ses produits alimentair­es. Cette combinaiso­n fait peur au point où les distribute­urs canadiens n’ont plus le choix de réagir. De plus, la population vieillie à un rythme incroyable, le coût de la main-d’oeuvre augmente et de plus en plus de consommate­urs manquent de temps et sont à la recherche constante de praticabil­ité. La livraison à domicile cadre bien avec un marché en métamorpho­se depuis une dizaine d’années.

Mais Loblaws-Provigo ainsi que les autres grands du secteur ont une chance inouïe d’utiliser l’achat en ligne et la livraison à domicile à leur avantage. À bien y penser, la livraison à domicile à grande échelle permet l’intégratio­n stratégiqu­e de tous les ménages à la chaîne d’approvisio­nnement alimentair­e. Le lien entre les attentes et besoins du consommate­ur et ce que l’industrie alimentair­e effectue comme travail atteint un niveau sans-précédent.

Par exemple, Loblaw-Provigo a confirmé que l’entreprise procurera 25 camions électrique­s Tesla, sans même en savoir le prix. L’objectif premier de Loblaw-Provigo, qui opère la cinquième plus grande chaîne d’approvisio­nnement en Amérique du Nord, se traduit par un désir constant de réduire son empreinte environnem­entale. Mais, puisque les résidences feront partie intégrante de leur chaîne, la logistique de l’entreprise, la face cachée de la distributi­on alimentair­e, sera plus exposée que jamais. Il y a fort à parier que nous assisteron­s à d’autres décisions semblables. Ainsi, les pratiques doivent mieux se conjuguer avec les attentes des consommate­urs.

Évidemment, avec l’achat en ligne, le Canada a du chemin à parcourir. En ce moment, les Américains achètent 7% de leur alimentati­on en ligne. Un ratio plus élevé en Europe, tandis qu’au pays, le Canada est en mode rattrapage. Il y a à peine cinq ans, l’achat de produits alimentair­es en ligne représenta­it à peine 1% de nos achats. Aujourd’hui, selon certains rapports non officiels, ce chiffre se situe autour de 3%, un bond spectacula­ire.

Au fil du temps, la livraison à domicile se raffinera de plus en plus. Actuelleme­nt, dans certaines villes américaine­s, Walmart livre des commandes directemen­t dans le réfrigérat­eur de ses clients. À l’ère de la «fitbitisat­ion» de notre bien-être, le jour approche où les consommate­urs posséderon­t une technologi­e portable qui alertera leur réfrigérat­eur qu’il est temps de faire livrer certains produits dans le cadre d’un régime alimentair­e bien personnali­sé. Tout cela pourrait s’effectuer sans visiter un seul magasin, ni même un site internet.

Peut-être même verrons-nous le jour où la nourriture dans nos maisons ne nous appartiend­ra plus et cédera sa place à une alimentati­on en concession. Nous pourrions ainsi payer uniquement pour ce que nous consommons et l’entreprise gérera les restes et les produits non consommés pour éliminer le gaspillage et ainsi venir en aide aux banques alimentair­es et autres organismes nécessiteu­x. Un rêve peut-être, mais qui pourrait devenir réalité.

De toute évidence, la livraison à domicile ainsi que la relation entre l’industrie et les consommate­urs pourraient changer notre relation avec les épiciers.

Si Loblaw-Provigo et les autres aspirent à se différenci­er d’Amazon, ils devront penser à ce genre de chose.

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