FRANCE DAIGLE: DEVRONS-NOUS TOUTES NOUS LEVER?

J’étais dans la mi-vingtaine. De Moncton, je m’en retournais à Montréal à bord du train Océan ou Scotian. Je dormirais dans la couchette du haut.

Au milieu de la nuit, je me réveille avec l’impression d’avoir senti bouger. J’ouvre les yeux, rien d’anormal. À peine une minute plus tard, à nouveau, et cette fois-là je la vois très bien, une main d’homme tâtonne calmement le matelas, trois secondes et puis s’en va.

Le train roule dans la nuit. Je guette tout bruit suspect, le moindre claquement. La main est déjà passée plusieurs fois. Je me suis tassée dans un coin de la couchette où elle ne peut m’atteindre. Je la guette en silence, prête à l’attaquer. Au bout d’un bras levé je tiens le pied de ma botte, son talon a encore du solide. Dans l’autre main, mon canif rouge Victorinox, celui avec une lame en dents de scie capable de très mal déchirer la peau de cette main baladeuse.

Ainsi armée, la première fois, je n’ai pas été capable. Cela me paraissait simple, il me fallait bondir sur ma proie. Je n’en fus pas capable la fois d’ensuite non plus. Je restai figée là, à regarder la main frôler le drap.

Était-ce la meilleure solution, de meurtrir la main? Valait-il mieux crier? Semer l’émoi? Ou confronter l’effronté, le surprendre en écartant le rideau tout d’un coup? Il fallait que je me décide. La main repassa, je ne bougeai pas.

Je réalisai que j’avais peur de voir le visage de cet homme, que je préférais ne pas le voir, ne pas le connaître. Parce qu’une fois son identité à jour, je l’aurais en tête pour le reste de ma vie. C’était comme si je ne voulais pas m’encombrer d’être (plus ou moins) dégoûtée à jamais.

Vous pensez que j’ai couché à nouveau dans une chambrette à rideau? Et c’est ainsi que chaque agression sexuelle, mineure ou majeure, en vient à gruger peu à peu l’espace sécuritaire auquel nous estimons avoir droit.

Je salue le courage des femmes qui se lèvent pour dénoncer leurs agresseurs sexuels. Leur geste est loin d’être anodin.